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le ressort de la Légation de France, que le jeune secrétaire d’ambassade a rejoint son ministre, le marquis de la Maisonfort. Lamartine dit lui-même sans détour que, « dans ce séjour enchanteur, la politique, tout à fait nulle, n’est que prétexte aux fonctions et aux appointements de la diplomatie. » « A Florence, dit-il encore, la vie est un peu moins oisive. » Et il s’occupe de poésie, « comme respiration de l’âme [1]. » La poésie n’émane-t-elle pas de lui presque naturellement ? II semble que ce soit en vers qu’il songe tout d’abord à s’exprimer. C’est en vers qu’il correspondait avec Mlle Pascal, et l’on découvre dans ses lettres à Virieu et à Laurent de Jussieu plusieurs passages rimes à la manière plaisante. Peut-être donc, s’il ne s’agissait avec Montherot d’une convention formelle, adopterait-il quand même ce mode d’entretien épistolaire, faute d’avoir le temps d’écrire en prose ! Du moins pouvons-nous ainsi conclure de ses lamentations, quand il lui faut suppléer le Ministre et expédier des rapports à Paris.

Il donne au cours de sa Correspondance maintes descriptions de promenades dans la campagne, suivi de ses chiens, montant un des chevaux qu’il a fait venir de Paris, ou l’un des étalons offerts par le bey de Tunis et qu’il dresse aux Caséines. Après avoir expédié quelques dépêches « très insignifiantes et très spirituelles » de M. de la Maisonfort, il s’en va écrire « à l’ombre d’un caroubier, dans son jardin, ses Harmonies Poétiques » ; enfin, il se délasse de « ces notes pieuses adressées à Dieu dans la langue des Psaumes » en composant, sans ratures, sans mise au net, quelqu’une des épitres à son beau-frère que nous devions trouver revêtues du cachet de la poste, dans l’album brun.

M. de la Maisonfort, — Lamartine en parle avec sympathie intellectuelle, reconnaissance et insécurité, — lui fait la vie très douce. Cet homme qui écrit des vers, lui aussi, l’a reçu, « non en secrétaire, mais en poète, comme les hommes d’Etat d’Italie auraient reçu Torquato où l’Arioste à la cour de leur Prince, avec cette cordialité sans morgue qui nivelle, dans la confraternité des lettres, les supériorités de rang et de grade [2]. »

Lamartine est tantôt à Lucques, tantôt à Florence où il aime à rêver, au fond de son jardin, sur la terrasse d’où il aperçoit le monument funèbre de la villa Torregiani, sorte de cénotaphe

  1. Lettres à M. de la Grange.
  2. Lamartine par lui-même.