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Aux yeux de l’étranger muet d’étonnement
Qui grave en son esprit ce bel appartement...


Suivent des descriptions du mobilier : fauteuils, chaises, etc.

Tel est le jeu. Tous deux y ont pris tant d’agrément qu’ils ont juré, en se séparant, de ne s’écrire qu’envers et en vers de cette sorte. L’auteur du Crucifix et de la Mort de Socrate, certain de retrouver, quand il le voudra, sa Muse élégiaque et purement drapée, l’attife en soubrette :


Je veux qu’elle s’amuse !


s’écrie-t-il [1]. Elle garde néanmoins du style :


En vain au ton commun il veut plier sa Muse,
La Mase, l’isolant des rimeurs d’aujourd’hui,
Révèle le poète et chante malgré lui,


riposte son correspondant. Mais elle est dépourvue d’austérité et ne recule pas toujours devant les mots. C’est presque Mimi-Pinson ; cependant son cœur n’est pas républicain. Pas encore !...

Au moment d’écrire sa première lettre, Lamartine s’est ressouvenu de la IVe épître de Boileau, adressée au Roi pendant la campagne de Hollande :


ÉPÎTRE II


Florence, 27 septembre 1826.

Si je vous répondais, où diable vous écrire ?
Vous qui, des bords fangeux où l’Océan expire
Remontez en huit jours aux sommets où le Rhin
Dans un lit de granit a creusé son chemin.
Et, brisant le rempart de sa rive jalouse
Du fracas de ses eaux vient étourdir Schaffhouse !
Si mon vers paresseux vous cherche à Rotterdam,
Vous avez déjà fui les canaux d’Amsterdam,
Si je cours après vous jusques à Bâle en Suisse...
Mais il me cuit encore de mes rimes en cuisse
Depuis que dans Paris nos rimeurs délicats
Ont proscrit de nos vers notre moitié d’en bas !
Changeons donc de sujet et parlons d’Italie !
De ce nom plus brillant notre langue embellie
En sons plus caressants coulera dans mes vers
Où vos noms allemands s’encadraient de travers.

  1. Boileau dit aussi dans son Discours au Roi, en parlant de sa Muse ; « Sur de moindres sujets, je l’exerce et l’amuse. »