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prohibés, les rimeurs légers, les apôtres de la liberté de pensée. Il sera comme lui maire de son village, et charitable, désintéressé ; comme lui membre de plusieurs académies de province ; comme lui pèlerin passionné des pays latins et des rives orientales. Il a des attaches dans la diplomatie où Lamartine n’aura qu’à se montrer pour séduire. Comme tout esprit cultivé du temps, il fait des vers. Tout ce qui, chez le grand homme, se marque d’un trait éternel, est répété chez Montherot par un pointillé en grisaille.

Il n’en reste pas moins, par définition, l’aimable homme, évoquant ce personnage obligeant et raisonnable des comédies de Molière et de Marivaux, de bonne compagnie, de bon conseil qui, à l’heure opportune, apporte le contrepoids d’une autorité bien équilibrée. Grand amateur de peinture, ami des livres, François de Montherot laissera une belle galerie de tableaux et une importante bibliothèque dont il relie lui-même quelques ouvrages préférés. Ce sont parfois les siens [1].


En 1826, Lamartine a trente-six ans. Il a publié ses premiers poèmes avec un retentissement considérable.

Derrière lui, sa jeunesse tiraillée, incertaine, où les influences se heurtent, où le génie cherche sa voie, où il s’ignore encore comme ceux qui le chérissent le plus !


Libéré des êtres et des lieux qu’il n’a pu chanter avec tant de sincère amour qu’une fois hors de leur étreinte, il est de nouveau dans cette radieuse Italie qu’il n’a visitée d’abord, jadis, qu’en manière de diversion à une passionnette. On le séparait de Mlle Henriette P..., fille d’un fonctionnaire de Mâcon, la belle « walseuse » qu’il célèbre dans ses Mémoires en disant que « tout son corps était une danse, » et on l’envoyait bien loin, sous un ciel indulgent... s’éprendre de Graziella. Il a gardé de ce voyage initial un souvenir exalté, malgré les contraintes, la tutelle d’un ami, les difficultés pécuniaires. C’est que l’Italie est le lieu du monde qui convient le plus exactement à sa nature morale et physique, à laquelle la stimulation des paysages spirituels et d’une ardente lumière est à peu près indispensable pour s’épanouir. Il est retourné à Naples dès son mariage, dont on peut dire qu’il fut un mariage de raison beaucoup plus

  1. C’est ainsi qu’il relie en « veau corinthe doré sur tranches » ses Mémoires poétiques pour les offrir à Aimé Martin.