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L’album de Saint-Point n’a jamais été, comme le recommande une note de la première page, « confié à personne » ou « communique à d’autres qu’à des amis. » Depuis la mort de M. de Montherot, qui en avait réuni les documents, il dormait... depuis un demi-siècle.

Ce ne fut donc pas un vieux tabellion qui rouvrit, en cette soirée d’automne, dans la chambre pensive, le reliquaire où subsiste un peu du cœur de Lamartine et d’où soudain il me sembla qu’un rire juvénile, qu’un rire insoupçonné s’exhalait... Rire de jeune homme, rire dont nul n’avait capté l’écho, rire humain d’un dieu, rire enfin dont on réalise qu’il nous manquait, puisqu’à l’entendre, on éprouve plus d’émotion peut-être qu’à lire une Harmonie échappée aux éditeurs.

Dans un tel sentiment, j’ai cru pouvoir invoquer le droit de prescription contre les scrupules du bon et charmant esprit que fut François de Montherot, mon arrière-grand-père, et recopier feuille à feuille ce recueil privé qui suggère, imprévue, fantasque, substituée pour quelques heures furtives à celle du prestigieux poète, l’image d’un malicieux étudiant.)


François de Montherot a épousé, en secondes noces, l’an 1821, Marie-Suzanne-Clémentine de Lamartine.

Le mari de Suzanne paraît être celui des beaux-frères du poète avec lequel ce dernier a le plus d’affinités. Ce n’est vraisemblablement pas de lui que par le Lamartine, ce jour de spleen à Saint-Point où il se voit avec découragement « poursuivi jusque dans sa chambre par des beaux-frères et des enfants criards. »

Mme de Lamartine, la mère, note dans ses cahiers inédits « la figure assez agréable » et « la bonne santé » de son gendre. Tout concorde à faire apparaître Montherot comme le type accompli du gentilhomme provincial au début du XIXe siècle, dont Lamartine fut lui-même un exemplaire éblouissant. L’un est à l’autre une sorte d’ombre portée. Issu comme Lamartine d’une famille où se rencontrent la robe du prêtre et celle du magistrat, l’épée du soldat, la plume du lettré, les corbeilles du vigneron, comme lui Montherot est élevé chez des religieux qui perfectionnent dans son cœur la discipline morale, la fidélité légitimiste de leurs parents, en dépit de la Révolution. Comme lui, il respire, adolescent, les souffles nouveaux, dévore les auteurs