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l’autre bout du parc le clocher de la vieille église qui rehausse le village s’effile entre deux sapins rivaux, et la tombe du poète est face au cimetière, contre le chemin caillouteux. Des mortes reposent à côté du grand mort : sa mère, sa femme, sa fille enfant, sa nièce Valentine, la touchante vestale de son culte, celle qui réchauffa de tendresse les années cruelles et qui ferma des yeux où tant d’éclairs avaient passé. Un buste orne l’étroite chapelle ; sur le marbre l’artiste a tracé ces mots : « La gloire des grands hommes appartient à tous, leurs douteurs sont à ceux qui les aiment. »

Mais on évoque les ombres aux lieux mêmes de leur vie et, chez lui, dans l’appartement ensoleillé plein de choses fidèles, j’imaginais bien la haute silhouette élégante de Lamartine. Lit à baldaquin, bahuts, fauteuils, menus objets personnels se souviennent, immuables. Au pinceau de sa femme sont dus les médaillons, figures de poètes célèbres, qui décorent la cheminée ; aux murs tapissés de perse rayée du cabinet de travail sont accrochés des portraits, des vues familières. Le bureau porte son encrier, ses plumes d’oie, les tablettes de bois verni, pupitres légers qu’il posait, pour écrire, sur ses genoux.

Une chambre démeublée sépare des salons ces pièces réservées. L’actuelle châtelaine de Saint-Point, ma cousine, y a classé les manuscrits et les correspondances qu’elle possède encore ; c’est là qu’un soir de furetage j’entr’ouvris certain cahier vêtu de carton brun, pieusement gardé dans notre famille. J’ai dénoué le ruban qui en retenait les pages et j’ai lu :


Un jour viendra qu’ouvrant mon secrétaire,
Des papiers du défunt préparant l’inventaire,
Un vieux tabellion, besicles sur le né,
Entr’ouvre votre lettre et recule étonné :
« Mes yeux, me trompez-vous ?... Je connais récriture !
C’est lui-même !... c’est lui !... »


Car le feuillet jauni sur lequel courent ces vers, signés Montherot, est précédé d’un feuillet plus mince, couvert d’arabesques plus délicates : l’écriture de Lamartine. Et il suffit de feuilleter plus avant pour s’apercevoir qu’on tient une correspondance qu’échangèrent le poète et l’un de ses beaux-frères, que cette correspondance est en vers et qu’elle décèle à toutes pages une intimité gaie, libre, délicieuse.