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d’années, la pensée maîtresse d’un grand homme d’Etat, le ministre Stolypine, qu’un assassinat politique ravit à son pays. Eût-il réussi et combien d’années eût exigé, avec une armée d’arpenteurs, ce travail gigantesque de remaniement, groupement et répartition d’exploitations judicieuses ?

Survint la confiscation bolchéviste ; les paysans crurent que les 72 millions d’hectares des nobles et des bourgeois leur étaient dévolus, puisqu’on leur disait de les prendre ; tandis qu’au contraire ils perdaient leur ancienne propriété communale, nationalisée comme l’autre. Ils ont droit à toute la terre..., mais seulement pour la cultiver au profit de la « Nation, » seule maîtresse du fonds, autorisée comme telle à disposer des produits et à les réquisitionner dans la mesure où elle le juge convenable. On connaît le système et avec quel succès rapide il est parvenu à faire régner la famine et à dépeupler le pays. Dans cette universelle confiscation verrons-nous sombrer le mir, remplacé avec le retour de l’ordre par la propriété individuelle dont le paysan russe aura soudain pris le goût ? Il n’avait pour elle, jusqu’à ces dernières années, que la méfiance et même l’antipathie des hommes primitifs, qui si longtemps ont lutté contre elle et l’ont repoussée.

L’utilité générale l’a pourtant créée et imposée à tous les peuples civilisés ; il n’y avait pas de civilisation possible sans elle. C’est sur cette utilité qu’elle repose et non point sur quelque tradition sacro-sainte, sur je ne sais quel fondement antique et mystérieux. L’histoire nous apprend que la propriété foncière individuelle, sous sa forme contemporaine, loin d’être, comme les Soviets sont portés à le croire, un vestige du passé qu’on a omis de faire disparaître, est, au contraire, une conquête du présent que l’on vient de consolider.


GEORGES D’AVENEL.