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que les lots étaient le plus souvent d’un prix inaccessible à la bourse des prolétaires ruraux.

Plus tard, sous le premier Empire, il y eut des reventes spéculatives, avec morcellement, qui augmentèrent le nombre des propriétaires. Mais, pour la surface cultivée sous Louis XVI, le morcellement n’a pas augmenté sensiblement par le fait de la Révolution. Ce qui, depuis 1789, a contribué à la division de la propriété, c’est l’augmentation de la surface cultivée depuis cent trente ans, l’immensité des landes, pâtures et forêts indivises qui ont été happées par la propriété individuelle et principalement par la petite propriété. En citerai-je un exemple topique aux environs immédiats de Paris ? Au Vésinet, où le cadastre initial date de 1824, on ne trouvait alors qu’un seul propriétaire, le territoire actuel de cette commune étant occupé par une forêt de l’État, non imposable ; en 1885, les propriétaires y étaient au nombre de 759. A Nanterre, au contraire, on comptait 1 775 cotes foncières en 1813 et 1 424 seulement en 1860.


En France, l’évolution économique a précédé l’évolution politique ; les habitants et l’Etat ont grandi ensemble, se sont formés et développés en même temps. Quand notre paysan était serf, l’individu qui portait le titre de « Roi des Français, » — Francorum rex, — était un seigneur un peu plus « arrivé » que les autres, mais guère plus possessionné que bien d’autres et, pour longtemps encore, en lutte avec eux. Avant que ce seigneur fût devenu « l’Etat, » les paysans étaient devenus des vassaux-propriétaires et, bien avant que ce seigneur disparût, par la Révolution de 1789, les Français, sans cesser d’être politiquement des sujets, étaient devenus économiquement des citoyens. Parmi ces innombrables petits « Etats » qu’avaient été les serfs du Moyen âge, les serfs étaient passés à travers ce réseau de jalousies et de concurrences pour atteindre du même coup la propriété et la liberté.

En Russie, au contraire, l’armature de l’Etat s’est constituée avant le développement du progrès social. On a coulé dans un moule rigide une pâte brute dont la fermentation s’est arrêtée. Lorsque le « Grand-Prince » de Moscou, au milieu du XVIe siècle, eût enfin secoué le joug tartare et se décora de ce titre d’« autocrate, »