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nombre d’entre eux parvinrent à traverser sans encombre la période aiguë de la Révolution, mais ceux qui furent emprisonnés, déportés ou massacrés, et les héritiers mêmes de ceux qui montèrent sur l’échafaud, ne furent pas dépouillés de leurs biens, ou ces biens furent restitués, sitôt après la Terreur, aux familles qui prouvaient que leur chef n’avait pas émigré.

Quant à ceux, nobles ou roturiers, qui étaient « portés sur la liste d’émigration, » leurs terres confisquées ne furent pas toutes vendues, faute d’acquéreurs. L’Empire et la Restauration restituèrent en nature plus de la moitié des immeubles ; dans le district de Toulouse, par exemple, sur 370 domaines séquestrés, 111 furent aliénés et 259 rendus à leurs propriétaires.

Ceci n’est pas pour excuser ou atténuer les excès lamentables de notre Révolution, mais pour en préciser la nature, en mesurer la portée et se garder des généralisations erronées. Il est clair que toutes les demeures seigneuriales n’ont été chez nous, ni détruites pendant la tourmente révolutionnaire, ni arrachées à leur légitime possesseur ; puisque le plus grand nombre de ces demeures sont encore debout et habitées par les mêmes familles que sous l’ancien régime. Chacun en connaît de telles dans son voisinage et, pour n’en citer que de très illustres, à voir les châteaux d’Harcourt, de La Rochefoucauld, de Brissac, d’Uzès, de Broglie, de Josselin aux Rohan, de Maintenon aux Noailles, de Brienne aux Bauffremont, de Dampierre aux Luynes, etc., etc., on peut se demander s’il y a présentement, malgré la nuit du 4 août, beaucoup plus en Angleterre qu’en France de membres de la haute aristocratie logés dans les maisons de leurs aïeux.

En fait, d’après mes recherches personnelles, et d’accord avec les plus récents dépouillements d’archives sur ce sujet, l’on peut estimer au dixième environ des terres françaises la superficie confisquée et aliénée par la Révolution. Aliénée, mais non dispersée ; si l’on examine la qualité des acheteurs de biens nationaux, on voit que les deux tiers environ furent des bourgeois, des hommes de lois, des commerçants ou des propriétaires du bourg ou de la ville voisine ; un tiers seulement furent des cultivateurs ou des artisans. Et, si l’on entre dans le détail des achats réalisés, on constate qu’il a été adjugé aux bourgeois une surface incomparablement plus grande qu’aux paysans, parce