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En certaines provinces, les inconvénients d’un morcellement excessif et d’une sorte de pulvérisation du sol n’avaient pas tardé à se faire sentir. A quelques mètres du donjon commençait, au temps féodal, la propriété roturière dont la division et la subdivision atteignait un degré incroyable : telle prairie de quatre hectares était répartie en quarts et demi-quarts d’arpents entre une cinquantaine de possesseurs. Mais quoiqu’il y ait eu, depuis le milieu du XVIe siècle, un mouvement de concentration, que de grands domaines se fussent alors constitués, par exemple les grandes fermes de Beauce et de Brie qui toutes datent du XVIIe siècle, le sol français demeura jusqu’à la fin de la monarchie aux mains de plusieurs millions de propriétaires.

On ne saurait ouvrir un inventaire d’archives de l’ancien régime sans y rencontrer des myriades d’achats de terres faits à ou par des laboureurs ; pour créer un parc de 30 hectares, tel seigneur doit acheter, l’une après l’autre, deux cents parcelles. Louis XIII et Louis XIV n’agirent pas autrement pour constituer, miette à miette, Versailles et Trianon, ― Trianon, village de 32 habitants, dont 26 étaient propriétaires du parc actuel.


Dans la France de 1789, les évaluations les plus modérées portent à 4 millions le nombre des détenteurs du sol ; ce qui, pour 25 millions d’âmes, — soit 8 millions de familles ou feux, — représenterait près de moitié de la population. Quoique la qualité de « propriétaire » s’applique ici à des individus qui possèdent seulement, au village, une maison avec un jardin et qu’en l’absence de statistique générale il soit difficile de fixer un chiffre, il est certain que la propriété paysanne absorbait alors une part qui ne devait pas être très inférieure au tiers de la superficie cultivée.

Cette propriété ne fut donc pas créée par la Révolution française, laquelle n’a pas été d’ailleurs, — et c’est aussi une erreur de M. Lloyd George, — « accompagnée de la confiscation de toutes les terres. » Seules, les terres du clergé furent mises « sous la main de la nation, » mais non point celles de la « noblesse, » en tant que classe ou ordre privilégié. Les seuls nobles dont les biens aient été confisqués furent les» émigrés. » Or, non seulement tous les gentilshommes n’émigrèrent pas,