Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Bien que la mode, dans le camp bolchéviste ou bolchévisant, soit de chercher à déshonorer la Révolution française en la comparant à l’anarchie soviétique, ce n’est que par une méconnaissance complète des faits du passé que l’on prétendrait établir, avant ou après 1789, un parallèle quelconque entre la propriété en France et la confiscation en Russie.

Ce n’est pas à la Révolution, c’est au Moyen âge, que remonte, chez nous autres Français, la création de la propriété paysanne. Elle fut intimement liée à l’abolition du servage, phénomène purement économique, nullement politique ni religieux, mais résultant du libre jeu d’intérêts en présence. La prospérité agricole du XIIIe siècle engendra la hausse des terres, — en cent ans l’hectare monta de 360 francs à 1050 en monnaie de 1913 ; — d’où le besoin de bras, puisque c’est uniquement aux époques de prospérité que l’agriculture se plaint de « manquer de bras, » plainte qui prouve, ou la hausse des salaires agricoles, parce qu’on recule à payer ces bras un prix excessif, ou la mise en valeur d’une surface plus grande que précédemment.

L’homme parut alors le bien le plus précieux, source de toute richesse par le profit que l’on tirait du sol défriché ; on se mit les laboureurs aux enchères, et le prix dont on les paya fut la liberté et la propriété foncière. Le mouvement, une fois commencé, continua par sa seule force, par le « droit d’attrait, » une manière, entre seigneurs, voisins, de se soutirer les hommes les uns aux autres. Non seulement le Roi, mais la plupart des princes usaient, tant qu’ils pouvaient, de cette escroquerie chevaleresque, vis-à-vis des fieffés, clercs ou laïques, de moindre envergure. De sorte que les seigneurs, de peur d’être abandonnés de leurs serfs qui eussent déguerpi, quand ils y trouvaient avantage, chez un maitre plus puissant, furent tous amenés peu à peu à en faire autant.

Le sol fut ainsi morcelé et transféré, du seigneur à ses serfs affranchis, par un acte qui porte improprement le nom de « bail à cens, » mais qui est effectivement une donation, moyennant une rente minime, invariable, et des profits indirects connus sous le nom de « droits féodaux. » Le bailleur, selon la formule du temps, a « livré, versé, quitté, transporté et octroyé, à toujours et à perpétuité, au preneur et à ses successeurs, »