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livre et s’échange, s’occupant de vous, des yeux « qu’il avait noirs et brillants, » au dire de Bussy-Rabutin, et du geste de son bâton manié comme une baguette magique, pour vous montrer quelque merveille avec satisfaction. Nous sentons que nous passons dans une autre époque et nous ne nous trompons pas. Ce vers quoi son lourdaud de cheval s’avance, sur une litière de trophées, c’est le règne de Louis XIV, qui sera aussi celui de la sociabilité, du luxe et de la grandeur. Le rideau rouge tombe derrière lui sur un chaos de guerres civiles, duquel enfin la France va sortir. Combien il diffère du Montmorency, à cheval posé et composé de même ! La fraise qui moussait autour du cou est retombée sur la cuirasse, s’est aplatie et étalée en dentelle, l’écharpe réduite à des proportions plus mesurées, est nouée en brassard, et flotte en banderole, la chevelure plate sur le front tombe en chute droite, disciplinée, « en comète, » et l’armure est un véritable habit de guerre au lieu de sembler une parure de ballet. La fantaisie individuelle cède : la majesté du grand siècle naît.

Quant au personnage qui paraît ici, « le nez bien fait, le front un peu serré, le visage long, les cheveux noirs et crépus, la taille belle, » si c’était un profond génie, nous serions bien étonnés. Mais plus encore, s’il n’était pas brave, magnifique et amoureux... Et en effet, il est tout cela avec profusion. Sa bravoure est prouvée à la Marfée, à Rethel, à Angers, à Arras où il prend sa part de la victoire avec Turenne et La Ferté. Il exagère même et comme « il a fort peu d’esprit, » on forge un cartel qu’on envoie de sa part à Piccolomini, le général ennemi, pour se moquer de ce « franc picouard qui étoit toujours sur les éclaircissements et qui n’avoit pas le sens commun. »

Mais son air magnifique ne nous trompe pas non plus. Gouverneur de Péronne, il reçoit avec un faste princier, successivement Mme de Chevreuse, l’archevêque de Reims, le duc d’Enghien, le comte de Pigneranda, plénipotentiaire du roi d’Espagne, le maréchal de Rantzau, la reine de Pologne, Marie de Gonzague et les ambassadeurs polonais, le gouverneur des Pays-Bas, le prince de Condé, le duc d’York, futur Jacques II, puis Mazarin réfugié, puis après la Fronde, à l’occasion du siège d’Arras, Louis XIV et sa Cour... Avec cela, dit Bussy-Rabutin, toujours amoureux. « Sa valeur auprès des dames lui tenait lieu de gentillesse. » D’ailleurs facile à dégoûter. En un mot,