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point avisés que trente-deux ans plus tôt, un homme du nom de Guébriant l’avait conçu et réalisé, avec toute son armée, en huit jours et huit nuits d’hiver, devant l’ennemi tout proche, sans perdre ses hommes, ni ses chevaux qu’il avait jetés dans le fleuve, à la nage, lorsqu’il n’avait pas de place sur ses pontons pour les faire traverser. Arrivé sur l’autre rive, qui manquait-il à l’appel pour que cette action passât à la postérité ? Boileau et Lebrun, tout seulement, et c’est pourquoi le Passage du Rhin par Guébriant n’est pas venu jusqu’à nous. Non plus la prise de Brisach, qui pourtant nous donna l’Alsace, ni la victoire de Kempen qui lui donna ce bâton de maréchal, que nous le voyons tenir sur son tombeau avec la nonchalance d’un philosophe désabusé. Admirable mensonge de l’art de la Renaissance, qui revêt le mort d’un travesti suprême, pour faire entendre qu’il est entré dans l’immortalité ! Le costume vrai que figurait le Moyen-âge sur les tombes a disparu. Les mains qu’il élevait vers Dieu ne se joignent plus pour la prière. Le front se penche sous la pensée. C’est la sérénité du repos antique, bien due à ce Marc-Aurèle, égaré parmi nos discordes civiles, toujours brave, toujours calme, toujours actif, toujours fidèle et qui prenait, mourant, le même soin de son armée que s’il devait s’en servir encore toute une vie.

La maquette exposée ici est celle de la statue maintenant détruite qui figurait avant la Révolution sur son mausolée à Notre-Dame, où il était inhumé. C’est un honneur que nul Maréchal n’avait obtenu depuis Brissac, et il est rare que le mérite atteigne les honneurs sans qu’une ambition le pousse. Quand, par hasard, la chose arrive, il faut regarder autour de lui, si quelqu’un n’a pas eu l’intrigue dont il manqua. Ici, il n’y a pas à aller loin : la maréchale de Guébriant en avait pour deux. Dévouée à la fortune de son mari, durant sa vie, elle fit jouer pour elle-même, veuve, ses rares facultés de femme d’Etat. Elle fut ambassadrice en Pologne, et de telle sorte que le roi Wladislas disait qu’il fallait, en effet, l’avoir vue pour imaginer ce dont une femme était capable. On regrette de n’avoir pas de portrait d’elle ici : il serait bien étonnant qu’on y trouvât le trait de la modestie qui souligne celui de son mari...

Le portrait équestre du maréchal d’Hocquincourt, par Caminade, est le premier qui no se garde plus du tout, mais se