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Tout autre, on le sent, a dû être ce vieillard, magnifiant la ressemblance d’Henri IV dans sa tête toute hérissée, toute blanche et qu’on imagine inamovible : le maréchal de la Force par Dumonstier. Auprès, est une copie du tableau de Delaroche, où l’on voit cet épisode célèbre de la Saint-Barthélémy : sous un monceau de cadavres, au milieu de ses parents massacrés, un enfant qui respire encore est découvert par un « paumier, » qui le sauve. C’était le futur maréchal de la Force. La mort ayant passé ainsi près de lui si tôt, l’oublia, bien qu’il fût la bravoure même et qu’il la provoquât souvent dans sa longue carrière, presque centenaire, disant après Rocroy, qu’il souhaitait mourir comme le comte de Fontaine. A quatre-vingt-six ans, il courait encore le cerf. Même en pleine paix, il était toujours là où il pouvait y avoir du danger : il était dans le carrosse d’Henri IV le jour de Ravaillac et, plus tard, dans celui de Richelieu, le jour où le peuple accusait le cardinal de tous ses maux. Car cette belle tête héroïque était fort populaire. « Oui, monsieur le maréchal, je veux aller à la guerre avec vous, » disaient les crocheteurs en lui « touchant la main. » Le poignard de Ravaillac est exposé là auprès. On dit qu’il n’est pas authentique. Le tableau de Delaroche, comme ce poignard, est un bon exemple de ces couleurs locales ou historiques, trop parfaites et pittoresques pour être vraies. Ce ne sont que des signes, comme les documents écrits eux-mêmes : l’héroïque valeur du vieux maréchal est une réalité. Et, aussi le témoignage de ce portrait, qui reflète la fidélité, l’imperméabilité, l’absurdité même, si l’on veut, de l’homme qui ne change jamais.

Les cheveux ont commencé à croître, dès la fin des guerres de religions. Chez le maréchal de Guébriant, par Dumonstier, une perruque naturelle foisonne et retombe en toison moutonnière sur une tête fine, svelte, allongée, comme un marbre du XVe siècle, un peu dissymétrique, un œil plus haut que l’autre, le nez mince, les moustaches fines s’évasant en pinceau écrasé aux coins de la bouche, et filant sous le menton en pointe à la royale, autour des lèvres fermées et scellées dans le circonflexe très pur de leur arc. Elles ne l’étaient pas toujours. Heureusement pour lui, il était en train de parler, ou même de crier, le jour où, assiégeant Vogan, en Piémont, une balle vint lui trouer la joue droite pour ressortir par la bouche grande ouverte. Il n’en subit point d’autre dommage, qu’une plaie jamais entièrement cicatrisée.