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grande célérité, que c’était chose merveilleuse et incroyable à voir ; en sorte que, à la fin du repas, beaucoup d’affaires se trouvèrent ainsi expédiées. » Il était d’ailleurs aussi brave qu’un autre : c’est son titre de connétable qui l’écrasait. On lui prêtait ce mot, quand il partit pour faire la guerre aux huguenots, qu’au retour il apprendrait l’art militaire de la guerre. En fait, il mourut sans le savoir.

Plusieurs autres, pourtant, bien meilleurs soldats que lui, ont laissé surtout le souvenir de brillants causeurs. Tel, le fameux Bassompierre, dont on voit ici deux portraits, l’un officiel et gourmé attribué à Philippe de Champagne, l’autre, une sanguine, toute ronde et bonne enfant, plus révélatrice. « Il était beau et bien fait, dit la chronique, quoique assez gros et gras, dansant mal, ne montant pas très bien, et n’étant pas trop « dénoué. » Mais fort satisfait de lui-même et avec une si grande santé qu’à soixante-quatre ans il disait qu’il « ne savait pas encore où était son estomac. » C’est sans doute ce qui lui permit de faire une prouesse guerrière aux Sables-d’Olonne ; il se mit dans l’eau, jusqu’au cou, pour montrer le chemin aux autres. Mais sa gloire était dans son extrême galanterie ; il devançait son temps : c’était presque un homme du XVIIIe siècle. On l’avait surnommé Bel-Accueil, et quant à son nom lui-même il servit de surnom à tous ceux qui excellèrent en bonne mine et en propreté. On disait : un Bassompierre, comme on eût dit un Pétrone. Ses valets même se piquaient d’extrême politesse et se précipitaient au secours des dames sans page pour porter leur robe, disant : « Encore ne sera-t-il pas dit qu’un laquais de M. de le maréchal de Bassompierre laisse une dame comme cela ! » Son grand prestige était son esprit toujours en éveil et ses bons mots innombrables. On l’a même accusé d’aimer mieux perdre un ami qu’un bon mot. Vint un jour, avec les ans, où il perdit ses amis et ne trouva plus ses bons mots. Il avait encore de l’esprit, mais il en faisait plus souvent qu’il n’en avait, ce qui est le sort et le châtiment des gens qui passent pour en avoir. C’est sans doute ce qui l’avait fait mettre à la Bastille et ce qui l’en fît sortir, ce qui n’alla pas sans grande cérémonie. Il est impossible de voir ce gros joufflu, satisfait, l’œil en coin, la lippe gourmande, dans la petite sanguine ici exposée, sans se rappeler le mot d’une femme qui connaissait bien la vie qu’on menait dans son vide-bouteilles de Chaillot : « Vous êtes le plus goguenard des amants. »