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toute force, en être cajolée, et il en est venu des provinces exprès pour tâcher à lui donner dans la vue. » Jusqu’à la sienne, qui le pleura tant, dit-on, que, de voûtée qu’elle était, elle devint droite, « la fluxion qui l’avait courbée et nouée jadis s’étant écoulée par les yeux... » cure bien remarquable, que nombre de maris, meilleurs que celui-ci, n’ont guère le pouvoir de faire, et presque digne d’être retenue dans un procès en canonisation. Il est vrai que son dernier soin, en mourant, avait été d’écrire à sa femme, et de lui envoyer sa moustache et sa cadenette coupées en souvenir de lui. Que la hache et l’échafaud sont de grosses machines, pour détruire un insecte de cette sorte ! A distance, du moins, cela nous paraît tel. Mais Richelieu n’en jugeait pas ainsi. Ce type de grand seigneur, aimable, généreux et fol, était inadapté au régime nouveau de la France : il fallait qu’il disparût.

C’est tout un monde qui disparaît avec lui. Le type des maréchaux politiques de ces deux premières salles ne se reverra plus dans notre histoire. Jusque-là on ne sait jamais bien quelles guerres a mené leur bâton, nationales ou civiles, lesquelles « sont guerres de haine et non guerres d’honneur, » à l’estime de Montluc. Ce sont des chefs de partis autant que des soldats, presque des prétendants, sinon au trône du moins à la tutelle du trône, en tout cas au pouvoir et à une sorte de royauté dans les provinces. Le connétable de Montmorency est une manière de chancelier, et, à sa mort, on lui fait des « obsèques de Roy. » Le maréchal de Saint-André est roi dans Lyon et, chez lui en Gironde, les vaisseaux qui suivent le fleuve doivent, lorsqu’ils passent devant son château de Fronsac, tirer le canon, honneur réservé aux souverains. Quand le triumvirat catholique, composé de ces deux hommes et de Guise, s’effrite à la bataille de Dreux par la mort de l’un et la captivité de l’autre, on assiste à la royauté du seul Guise. Et bien plus tard, Louis XIII dit encore, à demi sérieusement : « Le roi Luynes. » A cette époque de rois enfants ou faibles et de régentes, souvent en fuite, sur les grands chemins, dans l’incertitude de l’avenir, parmi les factions, les émeutes, ils sont à la fois nécessaires et redoutables. A cet instant, l’histoire de la monarchie est une lutte tantôt obscure, tantôt ouverte contre ceux qui ont charge de la défendre, — les maréchaux au premier rang, — et s’il n’y avait pas irrévérence historique et surtout sacrilège esthétique à profiler,