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aussi deux très différents personnages, quoique égaux en bravoure et en science militaire. Mais celle du premier était acquise et plus complète et celle du second innée et moins sûre. Le père « le plus vieux et le plus grand capitaine de la France, » selon M. de la Noue, « qui s’entend très bien à cette graine, » ajoute Brantôme, Biron dit le Boiteux pour « une grande harquebuzade en la jambe » reçue dès sa jeunesse, en Piémont, et blessé d’une autre arquebusade au siège de la Rochelle, avait une science assez compliquée de la guerre de son temps, où, pas plus que de nos jours, on ne s’improvisait capitaine. « Pour estre tel, dit Brantôme, il faut faire avant de grands rébus et des fautes et grands pas de clercs, car les sciences ny les arts ne naissent pas avec nous et l’estude nous les donne et avant que de les avoir nous faisons bien des incongruitez. » Biron en avait donc fait et s’en était corrigé. Son fils, au contraire, « était si né à la guerre, dit Tallemant des Réaux, qu’au siège de Rouen où il était encore tout jeune, il dit à son père que si on voulait lui donner un assez petit nombre de gens qu’il demandait, il promettait de se défaire de la plus grande partie des ennemis. » La conversation ayant lieu devant le Roi, son père le rabroua fort, lui disant que son projet n’avait pas le sens commun, puis, quand ils furent seuls, il lui parla autrement. Il nous plaît de les imaginer dialoguant ce jour-là comme nous les voyons dans ce tableau. Le père dit alors au fils qu’en effet son projet terminerait la guerre, « mais qu’il ne fallait jamais tout à coup voir la ruyne d’un tel ennemy… car si tels sont une fois du tout vaincuz et ruinez, les rois ne font plus jamais cas de leurs capitaines et gens de guerre et ne s’en soucyent plus quand ilz en ont faicts et qu’il faut tousjours labourer et cultiver la guerre comme on faict un beau champ de terre, autrement ceux qui l’ont labourée et puis la laissent en friche, ilz meurent de faim… » — « Voyla, ajoute Brantôme, ce que c’est que d’un cœur généreux qui a une fois bien sucé du lait de la dame Bellone ; jamais il ne s’en saoulle. » Ne nous étonnons pas du calcul. On l’attribue, vrai ou faux, à bien d’autres fameux capitaines. On l’a prêté à Maurice de Saxe après Lawfeld et à Luxembourg, au lendemain de Nervinde, lequel n’accablait pas les ennemis, disait-on à Versailles, parce que c’est dans la guerre qu’il se sentait « grand et nécessaire » et qu’il n’attendait de la paix « ni faveur ni justice. » Car ce ne