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misères de la guerre lointaine, et le danger de ne point payer les soldats, à demi nus et « si pleins de misère qu’ils font pitié aux pierres mesmes. » C’est encore, là, une tête qui se garde, sévère, solide et déjà d’un grison, vieilli sous le harnais. « Il l’avait aussi bonne que le bras, dit Brantôme, encore qu’aucuns lui donnèrent le nom de maréchal de bouteilles, parce qu’il aimait quelquefois à faire bonne chère, rire et gaudir avec les compagnons, mais pour cela sa cervelle demeurait fort bonne et saine. » Il y eut pourtant une circonstance où il ne rit pas du tout, étant même le seul, de toute la Cour, à ne point rire et où il dut prendre la mine renfrognée que nous lui voyons ici : ce fut lorsque ayant été nommé surintendant des finances, place enviée et d’un bon rapport, sa femme fut présentée à la Reine, pour la première fois. Cette maréchale bon bec, toute ronde et sans vergogne, mit dans son remercîment un tel appétit de la prébende acquise et une telle précision des profits qu’on en retirait, que tout le monde partit d’un des plus grands éclats de gaieté qui sillonnèrent ces tristes jours. « Ha ! pardieu, madame la folle, vous vuiderez d’ici, vous n’y viendrez jamais, gronda le maréchal ; qu’au diable soit-elle, me voilà bien accoutré ! » Il n’en eut pas grand mal, pourtant, non plus que Lefebvre des incartades de Mme Sans-Gêne, et s’il alla plus tard à la Bastille, c’est qu’en ces temps troublés, c’était le moins qui pût arriver à un grand de la terre. Il y a bien peu de maréchaux dans cette salle sombre, éclairée aux lampes, qui n’aient connu la prison, la plupart ont été accusés de crimes, beaucoup décapités. Le seigneur de Gonnord, maréchal de France après la mort de son frère, rude soldat, comme lui, combattant à Saint-Denis, à Moncontour, Arnai-le-Duc, au siège de la Rochelle, ne pouvait languir longtemps dans un cachot, après tant de services. Il en fut tiré par le duc d’Anjou, plus tard Henri III, et mourut paisiblement chez lui, à Gonnord, la même année où son neveu commençait, dans un combat naval contre les Espagnols, la brillante carrière que rappelle, ici, le petit cadre de Corneille de Lyon.

Les deux premiers maréchaux de Biron, le père et le fils, qui incarnent, comme les Brissac, la seconde moitié du XVIe siècle guerrier, se voient affrontés sur la même toile, dans leurs armures de cérémonie, aux reflets d’argent chez le premier et d’or chez le second. On se sent, ne fût-ce que par cette recherche plus grande de luxe, devant deux générations différentes. Ce sont