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alors le portrait en armure sombre, date de 1598, donné comme le sien, ne l’est pas. Il faut choisir entre les deux : il n’est pas possible de réduire ces deux figures à un type connu que deux artistes auraient interprété différemment. S’il arrive tous les jours qu’un artiste brouille la physionomie et manque la ressemblance de son modèle, il n’arrive jamais qu’il en modifie la construction foncière, comme il faudrait qu’un des deux l’eût fait ici. A la vérité, le petit portrait par Corneille de Lyon, très supérieur comme art à l’autre, d’auteur inconnu, ne nous montre pas un homme très supérieur. Mais qu’à cela ne tienne : le modèle ne l’était peut-être pas. Il n’est pas très beau non plus, mais qu’importe ! C’est son père qui l’était et qu’on appelait « le beau Brissac, » quoique de petite taille et d’apparence extrêmement délicate.

Quant au modèle de Corneille de Lyon, fils puîné de ce grand Brissac, neveu du maréchal Artus de Brissac, dit le seigneur de Gonnord, dont le portrait n’est pas loin, neveu aussi du grand aumônier de France, ne nous étonnons pas de ne point lui trouver les traits d’un puissant caractère. C’est tout bonnement un dynaste. La gloire de son père et de son oncle le porte : il n’a qu’à se laisser faire. « Il eut son estat de couronnel, encore qu’il ne fust qu’un enfant, » dit Brantôme. Plus tard, « il fut choisi par la reyne mère pour aller avec M. d’Estrozze en Portugal, et tenir le premier rang après lui, car outre qu’elle s’assurait qu’il ferait, comme elle le dist, quelque chose pareille à ses prédécesseurs, il avait du fonds et de quoy à enfoncer à l’appoinctement et des panse, et pour ce elle le choisit. » La Fortune ainsi séduite par les siens ne l’abandonna jamais, quels que fussent les impasses où il se fourvoyait. Entré dans la Ligue juste au moment où elle allait sombrer, il défend Poitiers contre l’armée royale. C’est lui que, l’année suivante, le duc de Mayenne fait gouverneur de Paris, — ce qui lui permet de rendre la ville à Henri IV et d’en tirer le bâton de maréchal. « Le Roi le lui donna, dit ingénument Moreri, pour reconnaître ce bon service. » C’était, d’ailleurs, un grand service rendu au pays, en même temps, ce qui est de la chance. Il eut encore celle de voir érigée en duché sa terre de Brissac par Louis XIII, juste une année avant sa mort.)

L’homme à la petite toque et à la grande barbe avantageuse est donc une manière de grand homme Mais auprès de ses