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protestant hobereau, de lui susciter un insulteur, de l’obliger à un duel sanglant et de le faire condamner à mort par contumace. C’était un certain Jean Perdriel de Bobigny, seigneur de Mézières, qui naturellement lui avait voué une haine mortelle... Voilà le dernier homme à rencontrer, désarmé : ce fut lui qu’il trouvait en face de lui, dans cette bataille où 35 000 hommes pour le moins s’affrontaient. Encore à ce dernier moment, sa fausseté, qui l’avait tant servi, le perdit. Il allait peut-être s’en tirer sauf, grâce à une rançon, lorsqu’il eut l’idée de reprendre sa parole donnée à son vainqueur et de se rendre une seconde fois à un autre seigneur qui passait et qu’il estimait sans doute de meilleure composition. Bobigny, qui s’était résigné à perdre sa vengeance, ne se résigna point à perdre sa rançon, la guerre étant, à cette époque, une affaire qui payait. Voyant son débiteur lui échapper, il le tua d’un coup de pistolet dans la tête, sans barguigner.

Un frappant caractère de cette figure, comme de toutes celles qui nous entourent, au XVIe siècle, du maréchal de Retz, du maréchal Strozzi, des Montmorency, des Brissac, de Montluc, seigneur de Balagny, et jusqu’au milieu du XVIIe siècle, de La Force et de Guébriant, c’est leur contemporanéité. Ils ressemblent tous à des gens qu’on a rencontrés dans la rue, à ce point que, leur costume tranchant bizarrement sur les nôtres, on dirait qu’ils viennent d’endosser un travesti, qui ne leur va pas trop bien, par manque d’habitude, et qu’ils sont prêts à partir pour un bal paré. Tel, le maréchal de Brissac dans ce petit portrait encadré de colonnes et mis sous verre, attribué à Corneille de Lyon, qu’il ne faut pas prendre pour un primitif français, car il était de La Haye et s’appelait Cornelis van der Cappelle ; mais, par une curieuse contradiction, tandis que les huguenots français quittaient la France, lui, huguenot étranger, s’y cramponnait fortement et, quoique habitant Lyon, devenait peintre en titre des Rois et des Reines de France. Il faut dire aussi qu’au XVIe siècle, Lyon était bien moins loin de Paris qu’il ne le fut, au XVIIe, de Versailles. Cette figure plate, dissymétrique, aux yeux écartés vers les pommettes, au nez rentrant, à la barbe en fer à cheval, la taille prise dans un gilet étriqué, la toque en arrière à la Jean-Jean, est-ce bien Charles II de Cossé, troisième maréchal de France de ce nom, gouverneur de Paris et fait duc et pair par Louis XIII ? Peut-être, mais