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nos appartements ont été retenus par les soins de l’Académie américaine. La M. Haskell nous remet à chacun un petit carnet où sont inscrites les réceptions qui nous ont été préparées. En feuilletant le petit carnet, j’ai l’impression que pourrait avoir un homme sobre devant le menu d’un repas de noces, chez des gens aisés dans la plus plantureuse province française. Chevrillon discute le programme avec M. Haskell. Il pose en principe qu’on ne nous demandera jamais de parler en public, du moins d’improviser. Lui et moi, nous avons la phobie de l’improvisation ; nous nous en déclarons incapables. Qu’on ne nous demande pas ça. Entendu. Là-dessus, miss Jones de la dotation Carnegie et M. Haskell prennent congé en nous annonçant qu’ils viendront nous chercher tantôt à trois heures pour nous promener dans New-York en automobile.

Déjeuner au restaurant de l’hôtel. Grande salle en rotonde avec, tout autour, une galerie élevée de quelques marches. Demi-jour, demi-électricité. Comme le maître d’hôtel très brun qui vient à notre table prendre la commande par le français avec un accent que je ne définis pas très bien, je lui demande à tout hasard s’il est Italien. Il me répond, avec un air à la fois d’excuse et d’assurance, qu’il est Allemand. Nous déjeunons sans vin, à l’eau glacée, subissant ainsi les bienfaits incontestables de la prohibition. A une table, à côté de nous, un monsieur et deux dames boivent du vin ; mais le maître d’hôtel nous explique que c’est du vin qui leur appartient, qu’ils ont acheté, qu’ils ont pu se procurer au dehors, mais que l’hôtel n’en fournit pas. Beaucoup de monde, beaucoup de femmes surtout, la plupart très élégantes ; modes de Paris, impression de luxe avec tout ce que ce mot comporte.

En sortant de table, nous restons quelques minutes dans le vestibule de l’hôtel à regarder le va-et-vient de la clientèle.) Très américaine et jolie d’ailleurs, la petite télégraphiste avec sa courte chevelure noire toute frisée. Nous admirons les garçons des ascenseurs : ils portent un costume d’un bleu foncé qu’éclaire (comme on écrivait en 1890) un gilet d’un bleu plus clair.


Jamais gilet plus bleu n’a du ciel le plus pur
Évoqué la douceur et rappelé l’azur !


Les ascenseurs sont parfumés ; il y en a trois qui montent et descendent sans cesse avec une grande rapidité. On ne monte