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monsieur le président, répond le connétable ; pensez-vous que je me tienne descouvert pour l’amour de vous ? C’est pour mon aise, mon amy, et que je meure de chaud. » Et comme cette entrée en matière, — je veux dire cette sortie, — n’est pas pour donner de l’éloquence au récipiendaire et qu’il s’embrouille un peu dans son discours : « Vous dis-je pas, monsieur le président, vous êtes un sot ? Allez songer vostre leçon et venez me trouver demain. » On ne l’imagine que trop aussi, donnant des ordres de hache et de billot, tout en récitant ses prières auxquelles il était fort exact, paraît-il, — ce qui fit naître ce proverbe qu’« il fallait se garder des patenostres de M. le Connétable. »

Etait-ce bien elles pourtant qui entretenaient sa férocité ? Point n’était besoin d’être pieux pour assassiner les huguenots. Il y a, ici, un de ses compères, qui passait pour athée et qui n’en était pas moins, dit Théodore de Bèze « désespéré ennemi de ceux de la Religion », c’est-à-dire ardemment catholique. C’est le maréchal de Saint-André, Jacques d’Albon. Son portrait est le type de ceux qui se gardent. Que peut bien cacher ce masque sous une toque noire flanquée d’une touffe de plumes blanches, haut colleté dans un pourpoint blanc et or, et un anneau de dentelles, tout en retrait, lèvres minces, qui dose son coup d’œil, et l’expression de sa bouche, et ne livre au peintre de sa physionomie que ce qu’il ne peut en retenir ? Assurément, une nature sèche, imperméable à tout ce qui n’est pas de nature à la fortifier et à l’enrichir, absorbant les sympathies sans les rendre, comme certains corps absorbent la lumière et ne la renvoient pas. Sans doute, dans cette apparence il y a quelque chose du peintre et de la mode. Nous sommes sous Henri II, ou peu après : il s’agit d’avoir l’air austère à l’instar des huguenots que l’on combat, mais qu’on imite. Puis il fera bon avoir l’air pâle : si on ne l’est pas assez de teint, on mettra du fard, c’est-à-dire du blanc, pour le paraître. Mais la part faite à ce qui est du peintre et du temps, il reste beaucoup de réserve sinistre qui est bien du modèle. Oh ! discrètement : « Son visage ne portoit en soy aucune façon cruelle, car il estoit fort beau et de bonne grâce, la parolle belle et l’esprit gentil, et bon jugement et bonne cervelle », dit de lui Brantôme, et Laubespine précise qu’« il avoit l’entendement vif, son entregeant fort agréable, beaucoup de valeur, adroict aux armes, fin et ruzé en affaires. »