Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empêcher son neveu Condé et Coligny d’aller avec leurs huguenots en Normandie se joindre à leurs alliés les renforts anglais. Il croyait bien avoir bataille gagnée, car son armée était formidable pour l’époque, dix-huit mille hommes, dont un tiers de Suisses, et vingt-deux canons.

À la vérité, il était, ce jour-là « pressé de coliques, » mais au duc de Guise, qui lui demandait comment il allait : « Bien, Monseigneur, répondit-il, voyla la vraie médecine qui m’a guéry, qu’est la bataille qui se prépare pour l’honneur de Dieu et de nostre Roy. » Belle parole d’un vieil homme de soixante-dix ans, fatigué par les guerres. De fait, il se battait comme un lion pour tâcher de rétablir sa ligne de combat brisée par les escadrons de Condé et, après avoir eu un cheval tué sous lui, il retournait dans la mêlée sur la monture d’un de ses lieutenants, lorsqu’un coup de pistolet ou d’arquebuse tiré de bas en haut, par un homme de pied, troua la ventaille de son casque et lui brisa la mâchoire, l’étouffant de sang. Il tomba et fut fait prisonnier par les protestants. Il est vrai que, de l’autre côté, son neveu et adversaire Condé l’était par les catholiques. Mais cela n’arrangeait pas sa mâchoire, qu’il fallut démantibuler pour en tirer la balle sournoisement logée entre le menton et les dents. C’est miracle si, durant un mois, on parvint à le nourrir. Mais le vieil homme était solide, plus que son armet exposé dans la vitrine, et il fallut encore sept coups, dont un de masse sur la tête et un autre d’arquebuse à l’épine dorsale, au cours de la bataille de Saint-Denis, livrée derechef contre les huguenots et Condé, cinq ans plus tard, pour qu’Atropos, comme on disait alors, parvînt à couper le fil dont cette âme obstinée était cousue !


Cœur de vertu qui mille cœurs avait…


dit son épitaphe et elle ne ment pas.

Eussions-nous cru cela de la figure paterne et matoise que voici ? Non pas tout, mais tout ne tient pas à lui. La dureté, la férocité sont du temps, l’humeur bougonne et grondeuse, la solidité, la matoiserie, sont de l’homme même. On l’imagine très bien, avec cette figure, le jour où un Président de parlement le venant voir se découvre et refuse de mettre son bonnet, malgré qu’il l’en prie, lui disant : « Je ne me couvriray point que vous ne soyez couvert le premier. » — « Vous êtes un sot,