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des paupières et se pourléchant, en attendant partie.

C’est le connétable Anne de Montmorency, terrible vieillard et grand rabroueur « qui a manyé sous cinq roys consécutivement les plus grandes affaires de France, donné huict batailles, six contre les estrangiers et doux en guerres intestines de ce royaulme, » dit la chronique du temps, car il fut chef, après le duc de Guise, des armées catholiques, commandant aux maréchaux de Montmorency, de Saint-André, de Brissac, de Thermes, qui l’entourent ici, père d’un connétable et de deux maréchaux dont voici les portraits pendus aux murs, de plusieurs autres vaillants capitaines, bisaïeul à la fois de Turenne et de Condé, sorte d’Abraham militaire, en même temps que chancelier de fer, à la manière de Bismarck, le premier des maréchaux hommes d’Etat, mais inébranlable tuteur de la monarchie, à la différence de beaucoup qui l’ont suivi, infatigable chevaucheur, travailleur acharné et copieux discoureur, « en tout universel, dit Brantôme, fust en choses sérieuses que joyeuses » admirable organisateur des services de l’arrière, si rompu aux choses de guerre en un mot, que l’ambassadeur de Venise, Barbaro, disait qu’il « en connaissait l’art, non seulement aussi bien que quelque Français, mais encore que quelque Italien que ce fût ! » Terreur des ministres protestants, qu’il pendait la tête en bas quand il ne les faisait pas « gecter en un sec à l’eaue » comme obligeamment il en donnait la recette à son gendre, M. de la Tremoïlle, exécutant pêle-mêle, bourgeois, femmes, enfants, assommant d’un seul coup de poing le bouffon de la Cour, Tonin, qui a cru pouvoir le railler comme s’il n’était qu’un simple roi de France, — bonhomme au demeurant, ayant le mot pour rire quand il est assis dans sa haute chaire en face de la Reine, à la regarder dîner, et parent affectueux qui terminait ses avis de pendaison à son gendre par cette formule : « Vostre byen bon père Montmorency. » Avec cela, champion intrépide, qui se dédommage de ne pouvoir plus courir la lance dans les tournois, dont il est souverain juge, en fondant sur l’ennemi.

Cet appareil d’armures et d’épées qui l’entoure n’est point honorifique. C’est en se battant comme un simple homme d’armes, dans sa campagne pour Catherine de Médicis et Charles IX, et contre son propre neveu M. le Prince, qu’il reçut cette arquebusade dont nous voyons ici son armet, en l’orme de bourguignote, troué. Il s’était campé près de Dreux, pensant