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Je le suivis donc sur le pont où se trouvait déjà mon confrère et compagnon de mission, André Chevrillon. Cependant un reporter d’un grand journal de New-York me demandait en anglais mes impressions sur l’Amérique. Je lui répondais, ou plutôt je lui faisais répondre par Chevrillon que c’était un peu tôt ; alors, comme cet homme voulait connaître mon impression sur quelque chose, il me demandait ce que je pensais du mouvement dramatique à l’heure actuelle. Ah ! comme j’aurais mieux aimé contempler l’arrivée à New-York, ou du moins ce qui restait de l’arrivée à New-York ; et il n’en restait plus grand chose : dans quelques minutes, nous allions aborder au dock. Cependant il me fallut bien dire quelques mots sur le mouvement dramatique à l’heure actuelle, question grave, question complexe qui eût demandé de la réflexion, de sérieuses études préalables, une rédaction attentive. Mais, dans son désir d’information, le journaliste américain montre la même hâte et la même insistance que le journaliste français. Remarquons toutefois que c’est au journalisme américain que le journalisme français a emprunté quelques-unes de ses méthodes et le mot interview vient du pays des dollars. Cependant on demandait à Chevrillon son avis sur la position de la France au point de vue des réparations !

Ces interviews terminées, trois ou quatre jeunes gentlemen spécialisés dans la photographie, braquaient sur nous leurs appareils ; l’un d’eux, un long cigare serré entre les dents, comme entre les mâchoires d’un étau en or, nous enjoignait d’ôter notre chapeau, de le remettre, de l’ôter encore, de l’agiter comme si nous saluions la terre de la Liberté.

Pendant ces exercices, le Paris avait accosté au dock. Débarquement, douane, ouverture des colis, de tous les colis. Tandis qu’avec les plus grandes difficultés, j’ouvrais la caisse à chapeaux dont la serrure était plus que moi ingénieuse, de l’autre côté de la barrière qui contient la foule, une dame me souhaitait la bienvenue, me criait qu’elle était venue ici pour faire de la propagande, pour servir la France en faisant connaître les meilleurs poètes français et me promettait sa prochaine visite. Je ne l’ai plus revue.

Une heure après, environ onze heures, accompagnés par M. Haskell, représentant de M. Murray Butler, et par miss Jones de la dotation Carnegie, nous sommes au Ritz Carlton Hôtel où