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à cette police les cadres, la structure, la discipline d’une armée. Elle l’a installée dans des casernes, accoutumée partout à l’école du soldat, pliée à tous les exercices, outillée, approvisionnée, équipée comme une force combattante. Prête à être mobilisée et, dès maintenant mobile, cette prétendue Sicherheitpolizei peut être, sur un signe du Gouvernement de Berlin, transportée de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud. Sans doute, elle ne crée pas un péril immédiat. Le matériel qu’elle a à sa disposition est, pour le moment, très incomplet. L’Allemagne a dû livrer ceux de ses canons et celles de ses munitions qu’il a été possible de découvrir. Mais son industrie est en mesure de se réadapter rapidement aux fabrications de guerre ; et, en attendant, la Sicherheitpolizei tient le pays en haleine et conserve partout les vieilles traditions du militarisme prussien.

Ce qui se passe en Allemagne est exactement, pour un observateur attentif, la réédition de ce qui a précédé et préparé, après 1806, la guerre de 1813. Le général Ludendorff et ses amis ne se gênent pas, d’ailleurs, pour invoquer les grandes leçons du passé. Certes, il manque au Reich un Fichte capable de renouveler les « discours à la nation allemande. » Mais les entreprises semblables à celle qui s’était fondée à Kœnigsberg pour la publication du Volksfreund de Bartsch ou du Bürgerblatt de Heidemann, les sociétés secrètes qui fonctionnent dans l’ombre sur le modèle de l’ancien Tugendbund, les cours universitaires qui s’inspirent tant bien que mal de l’enseignement des Humboldt, des Schlegel et des Schleiermacher, les chansons patriotiques qui rappellent celles des Maurice Arndt, des Kœrner et des Rückert, toutes ces manifestations de l’idée de revanche recommencent sous les formes anciennes. Lorsque les Français étaient chassés de Pillau, que leur avait livrée, avec d’autres places, le traité du 29 mai 1812 lorsque Frédéric-Guillaume signait avec le tsar, le 28 février 1813, le traité de Kalisch, par lequel la Prusse devait être rétablie dans ses frontières de 1806 et l’Allemagne restaurée dans sa souveraineté, lorsque Bülow ouvrait aux Russes le passage de l’Oder, lorsqu’était promulguée, le 17 mars, l’ordonnance organisant la Landwehr, lorsque, dans son fameux appel à son peuple, — « Brandebourgeois, Prussiens, Silésiens, Poméraniens, Lithuaniens. » — Frédéric-Guillaume cherchait à soulever la Prusse, et que, de son côté, Wittgenstein invitait les populations allemandes à revendiquer leur liberté par les armes, cette explosion n’était que l’aboutissement fatal du travail souterrain qui se