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pourrons choisir en connaissance de cause d’après des critères visibles. En un mot, et si j’ose employer cette image, tant qu’il s’agissait des notions d’espace et de temps, qui ne sont que des cadres assez vides par eux-mêmes, des vases intéressants surtout par les liquides qu’ils contiennent, nous étions un peu comme ces jeunes gens qui doivent choisir entre deux fiancées d’après la seule description qu’on leur en a faite. Ainsi nous allons voir maintenant de nos propres yeux, et à l’œuvre, les deux prétendantes à notre dilection : la science classique et la théorie d’Einstein. Nous les verrons toutes deux mettre la main à la pâte des faits, et nous pourrons comparer et goûter les mets délectables qu’elles en auront respectivement tirés pour la nourriture de notre esprit.

Les théories ne valent qu’en fonction des faits, et celles qui, comme tant de métaphysiques, ne trouvent point de critère réel pour les départager, valent toutes également. L’expérience, source unique de la vérité et dont Lucrèce disait déjà

unde omnia credita pendent


les faits sensibles, voilà ce qui va juger le système einsteinien.

Le résultat de l’expérience de Michelson, que l’on ne peut mettre en évidence aucune vitesse de la terre par rapport au milieu dans lequel se propage la lumière, ce fait, avons-nous dit déjà, revient à ceci : on ne peut par aucun moyen constater, réaliser une vitesse supérieure à celle de la lumière. Cette conséquence de l’expérience de Michelson gagnera peut-être à être déduite sous une forme tout à fait tangible. Voici une image qui nous le permettra.

Dans je ne sais plus quel roman astronomique, un observateur imaginaire est supposé s’éloigner de la terre avec une vitesse supérieure à celle de la lumière, 500 000 kilomètres par seconde, par exemple, tout en maintenant ses yeux (munis au besoin de puissantes besicles) constamment dirigés vers ce petit globe fébrile. Que va-t-il arriver ? Notre observateur verra évidemment les phénomènes terrestres à l’envers, puisque, dans son voyage, il rattrapera successivement des ondes lumineuses qui ont quitté la terre avant lui, et depuis d’autant plus longtemps qu’elles en sont plus éloignées. Notre homme, ou plutôt notre surhomme, assistera donc au bout d’un certain temps, par exemple, à la bataille de la Marne. Il verra d’abord le champ