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Les chants des payadores, sous le nom de milongas, cielitos, gatos, tristes, sont à l’ordinaire des couplets de quatre vers :


Santos Vega, le payador
A la lointaine renommée,
Est mort en chantant son amour,
Comme l’oiseau dans la ramée.


Mais la musique de guitare qui accompagne le couplet veut cinq ou six vers ; le chanteur se tire d’affaire en répétant le premier vers soit une, soit deux fois, au début ou à la fin.

C’est de la poésie des gauchos qu’est née toute la littérature du Rio de la Plata. Et aujourd’hui encore cette poésie spontanée n’a pas disparu. Le dimanche dans les villages, les musiciens se portent des défis poétiques et se répondent en copias alternées, comme des bergers de Virgile.

Le gaucho n’a pas seulement donné à l’Uruguay sa littérature et son caractère. Il a déterminé pour une forte part l’histoire politique du pays. Au début, quand il errait dans les campagnes au milieu des troupeaux sauvages, la terre et le bétail n’appartenaient à personne, la propriété n’existait pas ; la famille même n’a guère été constituée régulièrement qu’à partir du XIXe siècle. Né d’unions de hasard, il vivait au hasard, attrapant le bétail avec le lasso ou les boléadores, et faisant rôtir la viande sur une fourche de bois. Le cuir suffit à le vêtir, et même à le loger. Un voyageur à Montevideo, en 1727, compte quarante maisons de cuir contre deux en matériaux de constructions. Dans un siège soutenu contre les Anglais, la brèche est aveuglée par des cuirs.

Cependant peu à peu, le pays se peuple, le sol est divisé, la propriété apparaît. Des gauchos, les uns entrent alors dans le cadre de la société régulière, se fixent et deviennent péons au service des propriétaires. Les autres, rebelles à toute fixation et à toute loi, se retirent dans la montagne et deviennent des bandits, les matreros. Au début du XIXe siècle, le pays présente l’aspect suivant. Les tribus indiennes ont été refoulées dans l’extrême Nord ; la montagne, au Sud du Rio Negro, abrite la vaste association des matreros. Dans le reste du pays, çà et là apparaissent des villes naissantes : quelques centaines de personnes, autour d’une chapelle ou d’un fortin. Ailleurs, disséminées, les estancias, c’est-à-dire un groupe de bâtiments où