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qu’on pouvait se faire un cabinet de travail dans une branche. ! Il faut revenir de cette illusion. Imaginez, au-dessus de racines saillantes, un fût médiocre, qui se divise et d’où de courtes branches sortent en couronne, comme celles d’un candélabre, pour se subdiviser encore de la même façon. D’ailleurs le bois ne sert ni à la menuiserie, ni au chauffage. On dit que les oiseaux même ne perchent pas sur ses branches. Sa silhouette ronde, s’élevant sur le terrain nu, est un trait du campo uruguayen.

Sur ce campo sans arbres, les arbres qu’on plante croissent en général fort bien. Celui qu’on rencontre le plus communément autour de Montevideo est l’eucalyptus, qui devient magnifique. Mais pour voir vraiment une forêt, il faut aller dans l’Est du pays jusqu’à la vieille ville coloniale de Maldonado, et pousser de là jusqu’à Punta Dallenas, la propriété de D. Antonio Lussich : c’est un endroit unique au monde.

Imaginez une mer bleue où plongent des caps de porphyre : une vision de la Méditerranée. Autour des rochers la mer a étalé de longues plages de sable blanc. De Punta Ballenas à Punta del Este, sur plus de 10 kilomètres, on peut galoper sur ce sable, au bord des vagues. Il s’étend au loin dans l’intérieur. C’est sur ce terrain, entre la mer et une lagune, dans un terrain autrefois nu, que M. Lussich a entrepris des plantations. Les arbres se sont mis à croître avec une vigueur prodigieuse. Aujourd’hui le spectacle est saisissant. On vient de Maldonado par une large piste de sable. L’été, elle est parfaitement unie. L’hiver, les pluies y creusent des ravins où les carrioles rebondissent et où les petites automobiles Ford exécutent leurs cabrioles. De temps en temps un ruisseau étend sur la route sa nappe miroitante, à l’étonnement du voyageur nouveau, et la voiture passe à gué. Bientôt une sombre nappe verte paraît à l’horizon. Elle s’étend comme un manteau, couvre le fond des vallées, remonte sur les pentes. Il y avait là, il y a quelques années, trois millions d’arbres. Il y en aurait aujourd’hui sept millions. Que ceci soit l’œuvre d’un homme, c’est prodigieux. La maison est une ancienne maison de type colonial, entourée d’une véranda. Nous montons là à cheval, et nous commençons dans les sentiers de la forêt une série de promenades invraisemblables. Dans cet air humide et chaud, sur ce terrain varié, toutes les essences prospèrent, et les arbres de