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n’inspire une pareille affection. Je ne parle pas seulement des preuves qui nous en ont été données pendant la guerre, de ces sommes d’argent si généreusement envoyées et qui ont atteint des chiffres très considérables, de cette proclamation du 14 juillet comme fête nationale en 1915, au moment où le destin des armes pouvait encore paraître douteux ; je ne parle pas de la rupture des relations diplomatiques avec nos ennemis. Il y a entre l’Uruguay et nous quelque chose de plus ancien et de plus profond. Et le pays est tout pénétré de culture française. Nous en verrons des exemples. Mais il est bon de marquer tout de suite un trait. Ce rôle immense de la France est tout à fait indépendant du rôle individuel des Français. Notre colonie à Montevideo nous fait grand honneur par son honorabilité et son intelligence ; mais je ne crois pas que, dans l’ensemble, elle joue un rôle dans les destinées du pays. Il en est ainsi, je crois, dans toute l’Amérique du Sud. L’influence française s’exerce sans le concours des Français et parfois malgré eux.

Pour comprendre cette société nouvelle où il nous faut maintenant entrer, il est nécessaire de voir sommairement comment elle s’est formée, et tout d’abord de se faire une idée du pays.


II. — LE PAYS

Par sa nature d’abord, le pays diffère complètement des nôtres. Le sol de la France est un édifice composé d’une soixantaine d’étages, formés pour la plupart de fonds de mer desséchés, déposés les uns sur les autres dans toute la série des âges géologiques et remis au jour par lambeaux, dans des conditions très diverses, mais presque toujours dans un état presque frais. Partout des coupes naturelles font voir la tranche de la roche, et cette tranche est à peine altérée. Une promenade autour de Paris est une promenade à travers des milliers de siècles, et, si l’on y réfléchit, une étrange féerie. Le sable où poussent les châtaigniers de Robinson nous indique un ancien rivage. Le calcaire qui le recouvre nous apprend que la mer est revenue, et sur le plateau de Châtillon nous parcourons réellement le fond d’un océan. Le gypse de Pantin est le reste d’une ancienne lagune, dont les eaux brûlantes s’évaporaient sous les palmiers. Le long parcours que l’on fait à Lagny ou à Chelles pour