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séduisante ; elle se présente avec un tel cortège de vraisemblances convergentes, qu’il est bien difficile, ce me semble, je ne dis pas à « l’esprit géométrique, » — lequel n’a d’ailleurs rien à voir en pareille matière, — mais à « l’esprit de finesse, » de lui refuser son adhésion. On notera qu’elle a été comme pressentie de presque tous ceux qui se sont préoccupés de la question[1]. Quand Vogué nous parle de « transpositions imaginatives, » l’abbé Pailhès d’ « exercice littéraire, » quand Faguet admet que les « cinq ou six pages de folie, » écrites à Fontainebleau en novembre 1834, pourraient bien être la confession autographe de la Bibliothèque nationale, ne sont-ils pas tous les trois sur la voie de la solution que nous suggère notre enquête ? Et l’on observera enfin qu’elle concilie et réconcilie toutes les interprétations qui ont été successivement proposées, pour expliquer l’origine de ces pages brûlantes. Le « fantôme de femme » qu’on y voit apparaître, ce n’est ni l’Occitanienne, ni Mme de Vichet, ni Mme de C… ni Mme de Valry, ni Mme Hamelin, ni Hortense Allart, ni tant d’autres dont le nom nous échappe ; ou plutôt, ce sont toutes ces femmes qui sont venues se fondre ensemble dans une sorte d’allégorie romanesque. D’assez bonne heure, — au plus tard en 1823, — Chateaubriand aurait conçu une manière de roman qui eût été comme la synthèse poétique des expériences amoureuses de sa vieillesse commençante. Et au fur et à mesure que ces expériences se multipliaient, suivant les caprices de son inspiration ou de sa fantaisie, il écrivait quelques « pages de folie, » développant toutes ou diversifiant le même thème fondamental. Quelques-unes de ces pages sont parvenues jusqu’à nous. Les autres ont sans doute été détruites. Car l’auteur d’Atala n’a pas réalisé

  1. M. Gabriel Faure, qui semble avoir ignoré l’article de Maurice Masson, mais qui a lu les Enchantements de Prudence, et qui en a confronté le texte avec celui qu’en donne Sainte-Beuve à la fin de son Chateaubriand, aboutit à une conclusion peut-être un peu moins poussée, mais très voisine de la nôtre. Il nous dit même, après Léon Séché, que Chateaubriand « voulait appeler ce roman Valentine. » C’est mal interpréter le texte d’une lettre de Chateaubriand à Hortense (13 janvier 1833) : « M. Béranger, écrit Chateaubriand, m’a envoyé son petit volume ; je l’ai dévoré ; jamais il n’a rencontré tant de talent et de charme. Je vais commencer Valentine. » Il s’agit évidemment de la Valentine de George Sand, qui a paru en décembre 1832. — Sainte-Beuve, on le sait, a connu, au moins en partie, la confession, puisqu’il la cite et la commente dans ses Nouveaux Lundis (t. II, pp. 258-260). Mais il ne nous dit pas comment elle lui est parvenue. Ne serait-ce pas Hortense qui la lui aurait communiquée ?