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la multiplication du papier a fait rapidement disparaître les espèces métalliques, conformément au vieil adage « la mauvaise monnaie chasse la bonne, » que par conséquent le point de comparaison fait défaut, et ensuite parce que, dans bien des cas, le législateur intervient pour essayer de prohiber toute différence officielle : il oblige les nationaux à recevoir en paiement de leurs créances les billets inconvertibles. Mais les pouvoirs de l’Etat souverain expirent aux limites du territoire. Dès que les bornes en sont franchies, les lois économiques, qui sont universelles, reprennent leur empire. La monnaie de papier se compare aux monnaies étrangères, en particulier à celles des pays où le cours forcé n’existe pas et où par conséquent l’unité monétaire est un poids déterminé de métal précieux. Dès lors, le billet subit une perte par rapport à ces monnaies étrangères qui ont conservé leur pleine valeur. Cette perte mesure l’écart entre le papier inconvertible et la monnaie métallique indigène, puisque celle-ci est au pair des monnaies étrangères ayant conservé leur pleine valeur métallique.

Prenons un exemple qui fera comprendre la situation. En France, nous sommes au régime du cours forcé. Aux États-Unis, le dollar n’a pas cessé d’être de l’or ; tous les billets qui y circulent sont remboursables en métal jaune. Lorsqu’il en était de même chez nous, un dollar s’échangeait contre 5 francs 18 centimes, parce que chaque dollar contient autant d’or fin qu’il s’en trouve dans 5 francs 18 centimes de pièces d’or françaises. Mais, depuis que le franc est constitué par un billet de banque, le prix du dollar exprimé en notre monnaie a dépassé le pair mathématique : il s’est élevé un moment jusqu’à 17 francs ; il est en ce moment aux environs de 14 francs. Selon que notre politique fiduciaire tendra à restreindre ou à augmenter le volume de la circulation, nous verrons le cours du dollar baisser ou remonter à Paris. C’est ainsi qu’à l’heure actuelle la valeur d’un dollar américain exprimée en francs-or est 5 francs 18 centimes comme avant la guerre, tandis qu’en francs-papier elle est près de trois fois supérieure ; elle oscille sans relâche, sous l’empire de circonstances diverses. Elle démontre l’instabilité de notre étalon et la menace, constamment suspendue sur notre tête, d’une détérioration de cet étalon.