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Comment ne pas s’arrêter un instant, pour noter quelques aspects de cet immense itinéraire, le long duquel les formations automobiles s’échelonnaient le jour de la Toussaint de 1917 ? J’en trouve la notation précise et colorée dans de remarquables notes inédites du commandant Doumenc lui-même :[1].

« Le Parc de Troyes, en pleine fièvre, constituait le point de groupement où, à chaque instant, de nouveaux détachements arrivaient, auxquels il fallait distribuer, en hâte, de l’essence, des pneumatiques, des vivres, et qu’on réunissait en colonnes plus compactes, filant sur Dijon, par Châtillon-sur-Seine. Déjà, c’était la neige couvrant les plateaux ; et le vallon de Saint-Seine et le Val Suzon, tout poudrés de blanc, donnaient l’impression d’un paysage des Alpes… A Dijon, le long du boulevard où nos unités se rassemblent, c’est un grouillement continu de camions manœuvrant pour prendre leur place de stationnement, d’équipes d’ouvriers faisant crépiter les moteurs en essai ou penchés sur les ponts-arrière, de voiturettes véhiculant jusqu’au Parc les chefs de section… Plus loin, c’est toute la colonne des Sections Sanitaires, égrenées le long de la Saône, et qui se regroupent, dans la nuit, sur la place de Villefranche, toute pleine de lueurs de phares et de ronflements de moteurs. Pour gagner de vitesse, on a formé, à Lyon, des groupes avec du matériel neuf pris au Parc et des conducteurs amenés des armées…

« Ce même jour de la Toussaint, le premier groupe automobile quittait Grenoble, affrontait la grande montée de Vif, sans laisser un traînard, et venait passer la nuit au pied du célèbre Mont Aiguille, dont la majesté sombre a contemplé, jadis, bien d’autres convois de constitution bizarre, déménageant à travers la montagne les bagages des combattants[2]. Sous ces mêmes grandes ombres immuables, au bruit des mêmes torrents, ont dormi, sans doute, les mercenaires d’Annibal, les chevaliers de Charles VIII, les mousquetaires du roi Louis XIII, les

  1. Auxquelles ont été empruntés quelques autres détails de cette étude.
  2. Le Mont Aiguille, longtemps appelé le Mont inaccessible, fut escaladé pour la première fois, en 1494, par quelques gentilshommes de la suite de Charles VIII, Antoine de Ville, Julien de Beaupré, etc., « avec un eschelleur et un prêtre, » disent les vieux Guides. Il resta ensuite de nouveau considéré comme impraticable, jusqu’en 1834.