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On attendit donc, avec anxiété.

Et, malheureusement, les jours suivants, les renseignements apportés, d’heure en heure, par le télégraphe, donnèrent raison aux pessimistes : l’habile poussée oblique des Austro-Allemands (Nord-Est, Sud-Ouest) s’accentuait triomphalement. La 2e armée italienne était littéralement culbutée, et la 3e, en dépit de l’héroïsme des troupes de couverture, — cavalerie, bersaglieri à pied et cyclistes, auto-mitrailleuses, — se repliait, à une allure de déroute. Le 26, les ennemis atteignaient les petites vallées qui se dirigent, en éventail renversé, vers Cividale, tandis que les troupes italiennes abandonnaient le plateau de Bainsizza ; le 2T, ils entraient dans Cividale en flammes ; le 28, ils prenaient Gorizia, Cormons ; dans la zone maritime, ils enlevaient Monfalcone et ils atteignaient la frontière. C’était, favorisée par un temps clair et doux, la manœuvre d’ « enveloppement » dans toute sa rigueur ; c’était toute la plaine du Frioul menacée jusqu’au Tagliamento. Un immense matériel, de l’artillerie, des approvisionnements considérables étaient tombés aux mains de l’ennemi ; et Udine, capitale du Frioul, et siège, depuis les premières semaines de la guerre, du Grand Quartier Général italien, devait succomber le 29 !

On sait aujourd’hui, et depuis longtemps, sur qui faire peser la responsabilité morale du désastre italien dans cette circonstance : c’était, l’épouvantable effondrement de la Russie[1]qui en avait été la cause directe et la condition. De nombreuses troupes avaient pu, en effet, être enlevées au front germano-russe et concentrées, sous le commandement de Mackensen, dans la région des Alpes Juliennes et du Carso. Pendant ce temps, avec cette perfidie dans laquelle ils sont passés maîtres, les Allemands avaient organisé une campagne défaitiste parmi les combattants italiens, se servant à la fois des deux partis extrêmes, socialiste et papiste, pour lancer le fameux mot d’ordre : « Pas de nouvel hiver aux tranchées !… Vive la paix !… »

La situation semblait désespérée. Et, cependant, comme il arrive souvent, le premier moment de stupeur passé, ce fut tout justement le succès militaire écrasant des Allemands

  1. Proclamation de la République russe le 17 septembre. Lénine et Trotsky allaient entrer en scène : les négociations de paix devaient s’ouvrir à Brest-Litowok en décembre.