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français, du sien, devront au préalable manifester leur vœu à cet égard par des signatures individuelles ; et l’union ne sera réputée légitime, et comme telle effectuée, que dans le cas où, de part et d’autre, la majorité absolue aura voté pour elle ; autrement, elle ne pourra avoir lieu. »

Arrêtons-nous un instant devant cette idée d’un plébiscite libre. Qu’elle appartienne à Saint-Simon ou à Augustin Thierry, elle est d’un véritable précurseur. La France a fait entrer ce principe dans la politique européenne lors de la réunion de la Savoie ; la violation de cette idée par l’Allemagne, vis-à-vis de l’Alsace-Lorraine, a tenu un demi-siècle toute l’Europe en armes.

En même temps, mais seul cette fois, le petit professeur inconnu donne libre cours à ses rancœurs en un pamphlet anonyme : Lettre d’un fonctionnaire salarié, amère diatribe contre le gouvernement impérial. Quelques années plus tôt, cette virulente satire eût valu à l’audacieux d’aller méditer au Temple sur les inconvénients de la franchise ; mais le maître avait présentement en tête de plus pressants soucis. Fouché néanmoins enquêta, parvint jusqu’à l’auteur. Déjà l’homme aux lèvres pâles sentait passer le vent des catastrophes prochaines. Aux aveux du coupable, il répondit, en lui remettant dix louis, par cette louange inattendue : « Bravo, jeune homme ! Continuez d’écrire, mais prenez garde à vous, vous avez blessé au vif le cœur du tyran[1]. ».

L’année 1816 voit grandir encore l’amitié qui unit Saint-Simon, redevenu M. le comte de Saint-Simon, à son secrétaire. Celui-ci n’est plus seulement l’ « élève, » il est le « fils adoptif, » l’enfant chéri de l’intelligence, l’associé des projets et des rêves. Leur collaboration se fait aussi plus étroite, le commerce de leurs idées plus intime. De cet échange de pensées, tous deux vont profiter fort inégalement. Le tableau de l’histoire de France, celui de l’affranchissement des Communes qui ne sont qu’esquissés confusément, en des brochures incohérentes, par Saint-Simon, deviennent chez le futur historien du Tiers-État un système ordonné, un dessin d’une rigoureuse précision. On a voulu montrer de nos jours, sous un aspect tout différent, la révolution communale[2] ; elle n’en demeure pas moins, comme

  1. Anecdote recueillie par M. de la Saussaye de la bouche de M. Jacques Thierry.
  2. Cf. entre autres : Luchaire, les Communes françaises à l’époque des Capétiens directs ; et Giry, Histoire de la Ville de Saint-Omer.