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Anglais contre Charles-Edouard, la comparaison de Bonaparte avec un Cromwell insurgé contre la nation, on discerne déjà la touche et le procédé qui seront bientôt ceux de l’auteur des Révolutions d’Angleterre.

Cette antipathie contre l’Empire, Thierry la partage avec toute la jeunesse intellectuelle de son temps. Depuis quinze ans, la conduite du pays appartient aux hommes d’action, joyeux de marcher à la conquête du monde, sous un chef de leur choix, qui les enrichit de gloire et d’argent. Les hommes de pensée se tiennent à l’écart et subissent avec une douloureuse résignation un assujettissement dont la nécessité ne leur est pas démontrée. En 1814, ils espèrent toujours sauver les conquêtes essentielles de la Révolution. Il faudra les brutalités de la seconde invasion, les maladresses provocantes des ultras, les restrictions de tous genres apportées aux libertés concédées par la Charte, pour leur faire comprendre que la chute de Napoléon est à la fois l’humiliation de la patrie devant l’étranger et la ruine des idées proclamées en 1789.

C’est donc fiévreusement et d’une plume convaincue que l’élève de Saint-Simon se met à la besogne avec son maître, quelques jours avant le Champ de Mai, pour donner une véritable consultation politique[1].

Les deux associés s’adressent à la nation française. Il lui faut agir sans délai, avant de se donner un maître. Qu’elle impose à celui-ci l’union avec l’Angleterre. C’est la seule alliance possible : l’Autriche est infectée d’obscurantisme, la Prusse haineuse et féodale, la Russie a soif de conquêtes. Reste l’Angleterre, tous les autres pays sont absolutistes, elle est seule libérale. En outre, elle est puissance maritime, la France puissance continentale : les deux peuples peuvent donc s’entendre. C’est la seule union sûre. Les Français doivent donc déclarer que le peuple anglais est désormais notre allié naturel.

Il convient enfin d’ajouter à l’acte additionnel la déclaration suivante. Le Gouvernement s’interdit le droit d’agrandir le territoire, même par des traités, s’il s’agit d’un accroissement de plus de cent mille individus. S’il estime de telles conventions possibles, voici comment on procédera : « Le peuple qu’il s’agira d’incorporer à la France, de son côté, et le peuple

  1. Opinion sur les mesures à prendre contre la coalition de 1815, par Henri de Saint-Simon et Augustin Thierry.