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composition de Thierry : réminiscences de Lucrèce, expressions de Virgile, vers éclatants, coupes savantes. L’effet produit fut prodigieux, les vers proclamés dignes de l’impression.

Fier de ce premier succès, l’auteur en chercha un nouveau dans le discours français. Fendant un an, on le vit lire et relire J.-J. Rousseau. Il se passionnait pour ce style imagé, cette cadence des mots, ces grands mouvements de rhétorique. Tel était son amour pour ce maître favori, qu’il en vint à savoir par cœur tout le livre IV de l’Emile. Il y puisa les éléments de son second triomphe, dans une dissertation qu’il eut à présenter à la Faculté des Lettres, pour son examen de licence. Le sujet proposé était des plus bizarres : « Est-ce la différence des esprits ou celle des courages, demandait la matière, qui a détruit l’égalité parmi les hommes ? » Etrange question à la solution de laquelle les lumières propres de l’examinateur n’eussent pas été superflues. — « Différence des esprits et différence des courages, je les crois également coupables, répondit le candidat : le courage n’est-il pas l’esprit de l’homme qui veut être supérieur au lâche ? » C’était se tirer avec honneur d’une interrogation saugrenue. Aussi le succès fut-il grand à l’École et l’avisé lauréat considéré comme un des espoirs de l’Université naissante.

La même année lui vit prendre également le grade de bachelier es sciences, le même jour que son camarade Péclet. On ne voit pas cependant, que durant les deux années de son séjour à l’Ecole Normale, Augustin Thierry ait montré aucune prédilection particulière pour l’étude de l’histoire, ni pour celle de la philosophie.. Il ne suit ni le cours de Guizot, ni celui de Royer-Collard. La sécheresse dogmatique de l’un, le doctrinarisme sentencieux de l’autre devaient rebuter l’admirateur de Chateaubriand, à l’imagination enthousiaste, à l’impressionnable sensibilité.

En octobre 1813, le jeune licencié fut envoyé avec le titre de professeur de cinquième dans le petit collège de Compiègne. C’était un assez triste poste, maigre d’émoluments, gros de besogne ingrate. L’ancien établissement d’instruction, fondé en 1560 par le curé Mathieu Boscheron, dans l’antique hôtel de Roye, traversait alors une crise redoutable. Depuis le départ des Bénédictins chassés par la Révolution, le chiffre des élèves était tombé de deux cents à moins de quatre-vingts. Les efforts