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participer aux tours d’écolier que faisaient quelquefois, alors comme toujours, les collégiens à leurs maîtres. Le seul que je me rappelle, peut-être aussi le seul qu’il m’ait fait, c’est d’avoir attaché par la patte une souris à une ficelle, que les élèves de la classe voisine, séparée de la nôtre par une cloison, faisaient passer par un trou, puis retiraient, en recommençant ainsi ce jeu, au grand plaisir des espiègles et au vif dépit des deux professeurs, qui ne savaient par quoi étaient occasionnés cette espèce de frôlement extraordinaire, cette gaieté soudaine et intempestive qui se remarquait sur toutes les figures et ce rire spasmodique qui, bien que comprimé, éclatait en bouffées bruyantes et communicatives, ce qui arrêtait nécessairement les explications du pauvre professeur, qui, pourtant, lui aussi, quand il se fut aperçu de la petite malice, ne put si bien garder le sérieux magistral, qu’il ne lui échappât un léger sourire, lequel devint alors comme la détente d’une explosion générale de cachinnations (ou éclats de rire à gorge déployée), et il ne fallut pas moins de vingt minutes pour rétablir l’ordre et reprendre les cours de la classe, après un fort pensum appliqué aux promoteurs de tout ce bruit.

Quoique les succès du jeune Augustin tinssent du prodige et qu’il y eût une différence énorme entre ses compositions et celles du premier après lui dans sa classe, il ne travaillait pas plus que ses condisciples, il travaillait même beaucoup moins, parce qu’il lui suffisait du temps d’écrire ses devoirs, pour qu’ils fussent supérieurs à ceux des plus forts de son cours.

Je me trouvais encore le professeur du jeune Thierry quand il passa en quatrième ; ce fut alors surtout que se manifesta, dans toute son efficacité, sa prodigieuse mémoire, dont je fus à même de juger par le trait suivant : — Un jour, on expliquait pour la seconde fois une Églogue ou un passage des Géorgiques de Virgile. Augustin Thierry avait oublié son Virgile et craignait d’être réprimandé en me faisant connaître cet oubli. Comme son Quinte-Curce était du même format que le Virgile et de la même couleur, il prit donc, quand son tour d’expliquer fut venu, le Quinte-Curce pour le Virgile et fixant dessus ses regards, comme s’il eût suivi réellement le texte, il traduisait les vers de Virgile, de mémoire, avec aussi peu d’hésitation que s’il les eût eus sous les yeux. Le sourire de ses camarades ayant éveillé mon attention, je portai les regards sur le livre et reconnus la ruse de l’enfant. — Quoi donc, m’écriai-je, mais ce n’est pas un Virgile que tu as là, c’est un Quinte-Curce ! — Oui monsieur. — Tu sais donc Virgile par cœur ? — Oui, tout ce que j’en ai expliqué jusqu’à présent.— Et les autres auteurs ? — Aussi. — Voilà qui est curieux. Voyons, récite-moi tel morceau de Virgile, tel morceau de Quinte-Curce, tel morceau de