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il nous raconte la croissance, l’apogée et la ruine du Collège des Jésuites. Cette période, de 1564 à 1762, comprend deux siècles.


un collège sous les tempêtes

Pendant ces deux siècles, il vécut et grandit sous la menace constante des jalousies et des haines. Il a pour lui le Roi, contre lui l’Université et le Parlement. À peine avait-il ouvert ses portes que les passions se déchaînèrent. L’insolence de ces nouveaux venus fut dénoncée le même jour, à la même heure, du haut de la chaire, dans une douzaine d’églises. Les carrefours se couvraient de placards injurieux. Les Pères ne pouvaient s’aventurer dans le quartier de l’Université sans recevoir des ordures ou des pierres. Des écoliers les suivaient en criant : Tu es jesuita, ergo hypocrita, ita. Les humanistes forgent contre eux, qui sont pourtant des humanistes, épigrammes et satires dans leur meilleur latin. Devant le Parlement, l’avocat Pasquier les accable de son implacable réquisitoire. Il les traite de « secte schismatique et conséquemment hérétique. » L’erreur de Loyola est pour lui aussi dangereuse que celle de Martin Luther. « Si vous vouliez les incorporer, s’écrie-t-il, ce serait agréger l’Université avec une troupe de sophistes qui sont entrés comme timides renards au milieu de nous pour y régner dorénavant comme furieux lions[1]. » Et pourtant chaque année les Pères héritent de nouveaux biens ; les élèves désertent les collèges universitaires et se pressent autour de ces maîtres qui n’ont point de grades. Leur renommée d’éducateurs s’étend. En 1580, le jeune François de Sales, que ses parents veulent envoyer au Collège de Navarre, supplie sa mère de le mettre plutôt au Collège de Clermont.

Mais, le 27 décembre 1594, le fils d’un marchand drapier de la Cité, qui, après avoir fait ses classes de lettres aux collèges de Navarre et de Justice, avait suivi les cours de philosophie au collège des Jésuites, un pauvre garçon mélancolique et scrupuleux, impatient d’échapper à la damnation par une mort profitable au public, se glissa dans l’antichambre du Roi et le frappa d’un coup de couteau à la bouche. Au bruit de cet attentat, dès

  1. Fouqueray, Histoire de la Compagnie de Jésus (Alphonse Picard).