Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Depuis la suppression de la monarchie, toute femme en Autriche est électrice et éligible. Le Parlement actuel compte cent soixante députés, dont dix femmes. Sur ces dix femmes députés, une seule appartient au parti des chrétiens-sociaux ; une autre est Gross-Deutsche[1], les autres sont socialistes. C’est le cas de Frau Popp.

Elle m’attend, ce matin, avant l’heure du Parlement. Je la trouve vêtue d’une robe de velours gris, en dépit de la chaleur, dans son petit appartement, au troisième étage, sur la cour. La pièce où l’on m’introduit, tient à la fois de la chambre à coucher, du bureau et de la salle à manger. Pas un bibelot, pas une fleur. Un lit, puisqu’il faut dormir ; une table, puisqu’il faut manger et écrire ; une suspension au-dessus de la table ; des chaises et une bibliothèque pour serrer quelques livres.

Frau Popp est une femme d’environ quarante-cinq ans. Sa face ronde, aux traits menus et rapprochés, n’a de particulier qu’une mâchoire puissante. Quand elle tient un morceau, cette mâchoire-là ne doit pas le lâcher. Robuste, ramassée sur elle-même, Frau Popp donne une impression d’énergie et de ténacité.

Elle est née dans une famille d’ouvriers, la plus jeune de quatorze enfants. Triste intérieur, espèce d’enfer comme il y en a beaucoup dans la classe ouvrière, quel que soit le pays. Le père rentre irrégulièrement, ne rapportant qu’une paye entamée. La mère crie, tempête. Des querelles, des scènes éclatent, si violentes que la femme, parfois, s’enfuit pendant plusieurs jours. Les enfants, délaissés, sont nourris par la charité des voisins. A sept ans, la petite Adélaïde est envoyée à l’école. A dix ans, elle commence à gagner sa vie ; elle tricote. Mais, le soir, à la maison, elle attrape un livre ; elle lit, elle étudie. Quelques années se passent. Elle entre dans une fabrique de bouchons, où elle gagne trois florins par semaine. Elle n’est pas malheureuse. C’est alors que son frère aîné, parti pour faire « son tour d’Autriche, » revient au logis, ramenant avec lui un camarade imbu d’idées socialistes. Adélaïde l’écoute avec passion les développer. Celui-ci, qui s’aperçoit du succès de sa propagande, lui donne à lire

  1. Parti qui veut le rattachement à l’Allemagne.