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2 000 k. — On peut s’en passer, heureusement. La mode, que beaucoup suivent ici par économie autant que par genre, veut qu’on aille nu-tête. — Une canne : 500 k ; un pyjama en soie : 10 000 k ; un costume complet : 40 000 k.

Cela vous semble exorbitant ? Attendez. A la devanture d’un marchand de meubles, les prix deviennent affolants : une chambre à coucher en acajou, composée, selon l’usage en pays germanique, de deux lits jumeaux, deux tables de nuit et une armoire à glace à deux vantaux : 350 000 couronnes. Vous vous récriez ? Que direz-vous de la salle à manger ? Huit chaises cannées, une table, un buffet et une vitrine pour l’argenterie, le tout moderne et "en noyer ciré : 850 000 couronnes.

Il faut dire que la couronne, — qui, avant la guerre, valait 1 fr. 05, — aujourd’hui ne vaut pas deux centimes. Que cotera-t-elle demain ? Chaque jour, pour elle, marque un nouveau fléchissement. Les plus pessimistes se réconfortent en pensant que, jamais, elle ne pourra tomber tout à fait à zéro ; elle sera à presque rien, mais elle conservera un pouvoir d’achat. Savoir. Dans les campagnes, les paysans marquent de la défiance pour tant de papier. Si importante qu’en soit la liasse, elle ne leur dit rien qui vaille. Beaucoup n’acceptent plus que des échanges en nature.

Les hôtels regorgent. Cependant, la moindre chambre coûte huit à neuf cents couronnes. Mais c’est que les « missions, » fort nombreuses à Vienne, sont, pour la plupart, installées dans les hôtels. Les étrangers affluent, Anglais, Américains, Italiens, Français, Tchèques ou Roumains, les uns venus pour affaires, les autres en touristes.

La crise du logement sévit à Vienne non moins qu’à Paris, à Londres, à New-York. Depuis 1914, on n’a rien bâti dans la capitale de l’Autriche, dont la population s’est soudainement augmentée de l’afflux des Galiciens, juifs pour la plupart, fuyant devant l’invasion. Ils étaient venus pour quinze jours : les jours se sont allongés, changés en mois ; les années ont passé : les Juifs galiciens sont encore à Vienne. Combien sont-ils ? Cinquante mille ? Cent mille ? L’Autriche voudrait s’en défaire, alléguant que, depuis les traités, ces Galiciens, sont devenus Polonais. Mais la Pologne refuse énergiquement de les recevoir. Il faudrait une loi pour les forcer à partir. En attendant qu’elle soit votée, ils demeurent dans Vienne où, par leurs