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regards de ce côté, on jugea convenable de décrocher le tableau et de le mettre dans un autre endroit où il ne pût pas le voir. Pendant quelque temps il le chercha des yeux et, regardant tour à tour ceux qui étaient près de son lit, il semblait leur dire : « Où est mon fils ? Qu’avez-vous fait de mon fils ? »

Le même jour, je crois, il parla à Noverraz qui, commençant à se rétablir, avait fait tous ses efforts pour venir voir » l’Empereur. « Tu es bien changé, » lui dit-il en l’apercevant.

MM. Arnott et Antommarchi, voyant que l’Empereur était au plus bas, se consultèrent pour savoir s’ils administreraient une potion de calomel. Ils s’accordèrent et donnèrent la potion. Auparavant, il y avait eu une consultation chez Antommarchi, à laquelle avaient été admis MM. Schort et Mitchell. Précédemment, on avait mis des vésicatoires aux cuisses du malade, maison n’avait obtenu aucun effet ; ils n’avaient pas pris. La potion eut de l’effet. L’Empereur, qui depuis sa forte fièvre, avait eu quelque accès de transport, revint entièrement à son bon sens et parla comme s’il n’avait eu qu’une simple indisposition. Nous le crûmes sauvé : mais les médecins nous dirent que le bien que nous voyions ne serait que passager. Effectivement notre illusion fut bientôt dissipée, car, le lendemain, l’Empereur fut plus mal que jamais.

C’était avec peine qu’il articulait quelques mots ; ses pieds étaient froids. De temps en temps, il demandait un peu de vin, ce qu’on s’empressait de lui donner. Il disait, après avoir bu quelques gouttes : « Ah que c’est bon ! ah ! que le vin est bon ! » La veille ou la surveille, il avait déjà eu le hoquet, qui depuis lors ne l’a plus quitté. Le pouls étant presque insensible au poignet, il fallait avoir recours à la jugulaire. Pour lui réchauffer les pieds, on les enveloppait de serviettes chaudes. Une fois que je lui en mis une un peu trop chaude, il retira ses pieds assez vivement. Un peu d’eau sucrée qu’on lui donnait, soutenait encore le peu de vie qui lui restait. Dans la soirée, il changea considérablement et, sur le soir, il paraissait presque anéanti. La soirée se passa dans le calme le plus triste. On s’attendait à chaque instant à lui voir rendre le dernier soupir et, à tout moment, l’un ou l’autre de nous allait à son lit pour s’assurer s’il respirait encore. Il était paisible et assoupi.

Depuis quarante et quelques jours que l’Empereur était alité, nous qui avions été constamment auprès de lui pour le