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à la santé et que longtemps vous viviez au milieu de nous. »

Une des soirées suivantes, l’Empereur eut une fièvre assez forte pour lui donner le transport. Il demanda à Pierron, qui avait été en ville dans la journée, d’où venait le bâtiment arrivé le matin (effectivement, il en était arrivé un). « Sire, il vient du Cap, répondit Pierron. — Qu’a-t-il rapporté ?… A-t-il des oranges ? — Oui, Sire. — Il faut en prendre plusieurs douzaines. — Sire, j’en ai pris. » A différentes reprises, l’Empereur fit les mêmes questions ; ensuite il parla du docteur Baxter, médecin attaché à l’état-major du gouverneur. « Y a-t-il longtemps que vous n’ayez vu Baxter ? » demanda l’Empereur à Pierron. Pierron allait dire « non, » lorsque, sur un signe du Grand-Maréchal, il dit : « Oui, Sire. Il est parti pour l’Europe depuis quelque temps. — Ah ! je le croyais ici. — Non, Sire. Il est parti pour l’Angleterre. » Ce docteur, pour lequel l’Empereur avait une certaine antipathie, était à Plantation-House ; mais en disant à l’Empereur qu’il était parti, c’était pour ne pas porter le trouble et l’agitation dans ses esprits. Plusieurs fois dans la soirée, l’Empereur revint et sur le docteur Baxter et sur les oranges.

Dans la nuit qui suivit celle soirée, il voulut se lever. Il mit les pieds à terre. Il voulait, disait-il, aller se promener dans le jardin. Nous courûmes à lui et nous fûmes assez heureux d’arriver assez à temps pour le retenir, et l’empêcher de tomber. Il s’évanouit dans nos bras, et nous le remîmes dans son lit, où, peu à peu, il reprit ses sens.

Mme Bertrand, inquiète de la santé de l’Empereur qu’elle n’avait pas vu depuis quelque temps, vint le voir le jour suivant. Elle lui avait fait demander plusieurs fois de la recevoir et toujours il s’y était refusé. Enfin, apprenant qu’il était à l’extrémité, elle vint, s’introduisit dans le salon et s’avança près du lit ; l’Empereur la reconnut : « Ah ! Mme Bertrand ! dit-il. — Comment se porte Votre Majesté ? — Aïe ! tout doucement, » répondit l’Empereur d’une voix faible. Tout en la regardant, il ne proféra pas d’autres paroles.

A la place qu’occupait le lit de l’Empereur, il y avait eu une console sur laquelle était le buste du Roi de Rome et au-dessus était attaché à la muraille le portrait en pied du jeune prince. Ce tableau était resté accroché. Les rideaux du côté du mur étant relevés, l’Empereur, en levant les yeux, pouvait facilement apercevoir le portrait. Voyant qu’il portait fréquemment ses