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L’Irlande ne saurait donc se laver les mains du Sinn Fein, et le renier comme elle a pu renier la révolte de Pâques 1916, ou la France la Commune de 1871. Elle a sa responsabilité tout entière engagée dans les crimes qui ont souillé sa cause. Lourde responsabilité ! Sans doute, ce ne sont pas des crimes comme les autres, issus d’instincts brutaux, vils ou vicieux. « Ce n’est pas une simple explosion de criminalité au sens ordinaire du mot, » ont écrit les hauts dignitaires ecclésiastiques anglais dans une lettre publique à M. Lloyd George. Ils sont nés d’une lutte nationale pour la liberté. Il serait injuste de les juger en dehors de leur ambiance, et de se refuser à les regarder du même œil dont nous voyons ce qui s’est passé dans l’histoire au cours de toutes les grandes luttes des peuples aspirant à l’indépendance. Mais de ce qu’un peuple a droit à la liberté, il ne s’ensuit pas qu’il lui soit loisible d’user de n’importe quels moyens pour faire valoir ce droit. Ainsi que l’a écrit l’évêque de Cork, « la proclamation d’une république irlandaise par les membres sinn-feiners du Parlement, après les élections générales de 1918, ne suffisait pas pour constituer l’Irlande en république. Autre chose est demander le droit à la libre disposition en vue d’obtenir l’indépendance… autre chose est dire que chaque petite nation comprise jusqu’ici dans une monarchie plus grande devient, par le seul fait de proclamer le principe de libre disposition, un État souverain, avec le droit de tuer les serviteurs de la Couronne et de détruire la propriété de l’État… »

Le temps, le succès surtout peuvent effacer bien des souvenirs, comme les circonstances peuvent atténuer bien des responsabilités : il n’en est pas moins vrai que les excès ont discrédité l’Irlande et marqué son nom d’une tache profonde. Si la liberté venait aujourd’hui, c’est de mains teintes de sang qu’elle la recevrait. Et il est à craindre que l’esprit de violence ne s’éteigne que malaisément, que les passions déchaînées ne se réfrènent pas sans apporter de nouveaux maux : l’avenir, même à cet égard, ne peut être envisagé sans un certain pessimisme. Ce n’est, il est vrai, que justice de tenir compte à l’Irlande de ce que, pendant et depuis la guerre, le gouvernement britannique a tout fait pour jeter le pays dans l’extrémisme, et que, si on remonte plus haut dans l’histoire, on voit que la politique anglaise vis-à-vis de l’Irlande a toujours été faite pour