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feu, des explosions, dans les rues noires où les Black and Tans sont les maîtres. Le matin, on trouve les murs grêlés de balles, on lit dans les feuilles de longues listes de violences, embuscades, combats, arrestations, exécutions, incendies, assassinats. Et tout le long de la journée, ce sont les hold up et les coups de filet de la police, les passants arrêtés, fouillés ; les démonstrations militaires, parfois avec avions et tanks ; les patrouilles d’Auxiliaires en autos et de Black and Tans en lorries, fusils braqués et prêts à faire feu, parcourant les rues en tous sens et à toute allure, ou les randonnées de soldats casqués et en armes dans leurs lourds camions recouverts de filets métalliques ; puis, au tournant d’une rue, l’éclat d’une bombe ou le claquement d’un revolver, la fusillade en riposte, la débandade dans la foule et les passants qui cherchent un abri, l’innocent qui tombe…

Au village, dans les bourgs, c’est autre chose : ce sont les petites tyrannies harcelantes et démoralisantes, les menaces et les violences, quand ce ne sont pas d’un côté ou de l’autre les attentats. Ruraux et citadins sont d’ailleurs égaux devant l’inquisition et la terreur qui, si elles leur font ouvrir les yeux et les oreilles, leur ferment la bouche. La vie continue, les magasins sont ouverts, mais on se surveille, on se défie, et on se tait. Le rire a disparu. La société, la famille même, est divisée ; les relations sociales, autrefois empreintes de tant de bonne grâce et d’aisance, même entre adversaires politiques, sont empoisonnées. La tension nerveuse se traduit dans la population, femmes et enfants surtout, par une dépression morbide. « Nos existences sont des cauchemars, » écrit un prêtre du Kerry en décembre 1920.

Les gens ne disent rien : il n’est pas facile de savoir ce qu’ils pensent. Une chose est sûre, c’est que, l’Ulster excepté, tout le monde en Irlande réprouve avec horreur la politique des « représailles » suivie par le « Château. » Il n’est pas jusqu’aux unionistes ou anciens unionistes du Sud, tels sir Horace Plunkett, lord Monteagle ou The O’Conor Don, qui ne protestent avec la dernière énergie contre les excès gouvernementaux dont le seul résultat a été de pousser les gens, même modérés, par milliers vers le camp républicain, et de gagnera la cause irlandaise, même parmi les Anglais, des recrues retentissantes, comme M. Erskine Childers, M. Robert Barton, ou