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part et d’autre, sont engagées plusieurs centaines d’hommes. On ne saurait dire que, dans cette guérilla, au milieu de ces crimes, il ait manqué de traits chevaleresques ; mais l’horreur y tient une plus grande place. Ne parlons pas ici du petit et vil terrorisme quotidien, du boycottage, de ces jeunes filles à qui on coupe la chevelure parce qu’elles fréquentent ou servent la constabulary. Mais comment verrait-on, par exemple, sans répugnance, pour ne pas dire davantage, ces républicains qui revêtent parfois des uniformes anglais dans leurs « opérations, » ou se mêlent à la foule des femmes et des enfants pour faire le coup de feu ? Quoi de plus affreux que le meurtre de ces femmes aux côtés de leur mari ? Et quelle atrocité pire que celle de ce « dimanche rouge, » — 21 novembre 1920, — où, à Dublin, une douzaine d’officiers britanniques furent assassinés le matin, tous à la même heure, quelques-uns dans leur lit et sous les yeux de leur femme ? Au crime politique s’ajoute d’ailleurs le crime de droit commun. Le désordre appelle le pillage. La vendetta privée a beau jeu de s’exercer sous le couvert des « exécutions d’espions. » Tel incendie de château ou meurtre de notable rappelle ceux des whileboys d’autrefois. Comment y aurait-il de borne ou de frein au crime quand, les fondements premiers de la société étant renversés, le crime lui-même est devenu loi ?


V

Et quand, il faut le dire, les agents de la puissance publique rivalisent d’excès et de violences avec les révolutionnaires.

A une répression très rigoureuse, mais juste, nul n’aurait trouvé à redire. Devant le crime, en principe et sauf abus, la rigueur est légitime autant que nécessaire. Avec tout l’arsenal des lois de coercition, avec le Peace Restoration Act de 1920 qui supprime le jury et organise les cours martiales, avec l’état de siège appliqué en décembre au Sud-Ouest de l’Irlande[1], le

  1. De ce chef, le commandement militaire prend le pouvoir dans la région. La police, qui d’ordinaire relève du « Château, » passe sous son autorité (ce qui, en fait, n’a que des avantages). Ordre a été donné à la population de remettre dans un certain délai les armes que chacun posséderait, sous peine de mort : l’ordre n’a d’ailleurs pas été obéi. Interdiction, sous peine de mort, de donner aide, soutien ou asile aux rebelles. Les réunions de plus de six personnes sont interdites. Couvre-feu à sept heures du soir, avec interdiction de circuler la nuit. A la porte de chaque maison doit être affichée la liste des habitants. — Dans le district de West Cork, en février, l’autorité militaire prescrivit l’enrôlement forcé de tous les hommes de dix-sept à cinquante ans en qualité de « gardes civils, » et leur formation en pelotons de garde chargés de s’opposer aux embuscades ou attaques des sinn feiners, sous leur responsabilité personnelle.