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Pendant qu’à l’appel de Redmond la majorité du pays, en 1914, épouse la cause des Alliés et se donne à la guerre, l’extrémisme se réserve et se roidit. Depuis deux ou trois ans déjà il s’est vu stimuler et provoquer, nous le savons, par la rébellion de l’Ulster : ce qui a triomphé, à Belfast, de 1911 à 1914, ce n’est pas seulement l’Orangisme, c’est l’idée révolutionnaire, et Carson, en soulevant le « coin sacré, » a réhabilité la « force physique » et fait par contrecoup le jeu de la minorité avancée dans l’Irlande nationale : Carson a préparé Casement. Puis la guerre, qui frappe les hommes de vertige, surexcite les violents et les enflamme d’espoirs fous. L’Angleterre combat contre l’impérialisme et pour la liberté des nations : n’est-ce pas la Providence qui la livre ainsi moralement à notre merci ? Sa puissance ne va-t-elle pas être ébranlée, et de cet ébranlement n’est-ce pas l’Irlande qui profitera, si elle sait se garder ? England’s difficulty Ireland’s opportunity ! Les difficultés de l’Angleterre sont la chance de l’Irlande : le mot fameux semble fait pour la circonstance. Cependant l’idée d’une rébellion active ne se perçoit pas au début dans le Sinn Fein. L’esprit est celui d’une neutralité qui, du mal souhaité à Albion, escompte le bien d’Erin : cette guerre n’est pas la nôtre, car l’Empire britannique n’est pas notre empire. Saut chez des isolés ou des exaltés, pas de germanophilie, si ce n’est sous les espèces de l’anglophobie. On est violemment antianglais, on n’est pas pour cela pro-germain. We serve neither King nor Kaiser, but Ireland. Si l’Allemagne était victorieuse, que gagnerait l’Irlande à changer de maître ? « Que l’Allemagne veuille s’emparer de l’Irlande, dira un jour de Valera, ceux qui résistent aujourd’hui à l’Angleterre seront les premiers à lutter contre elle. » Mais on ne se sent pas en guerre contre les Allemands : ils ne nous sont rien, ils ne sont même pas nos ennemis…

Il y a eu, nul n’en ignore, des intrigues germano-irlandaises durant la guerre : il y a eu Casement et ses vains efforts pour enrôler au service de l’Allemagne les Irlandais prisonniers, il y a eu les envois d’armes en Irlande et les sous-marins boches sur les côtes. Tout cela a été machiné par les Irlandais-Américains, dont ce cerveau brûlé de Casement est l’agent, brûlé, lui aussi, depuis longtemps. En Irlande même, il n’y a, pour s’y laisser prendre, qu’un petit nombre d’énergumènes qui prétendent