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ce que fut Héléna Janz, ni ce qu’elle mit d’elle dans cette aventure. Était-ce une tendre ingénue qui aima ? Une plantureuse servante de Jordaens que le sang travaillait ? Une vaniteuse que l’amour d’un gentilhomme flatta ? Une maligne qui saisit l’occasion d’améliorer sa position ? Une bonne fille qui se laissa aller sans calcul raffiné et sans émoi extraordinaire ? Chacun croira ce qui plaira à sa fantaisie. En réalité, Héléna Janz nous échappe tout à fait. Nous ignorons tout autant les dispositions intérieures de Descartes dans ce court épisode de sa vie.

Je n’y vois assez clairement qu’une chose : une simplicité franche de procédé, et, pour tout dire, une humanité, qui avaient leur prix en ce temps-là, et qui ne l’ont pas perdu du nôtre. Également éloigné du cynisme et de l’hypocrisie, de la dureté aristocratique, de l’attendrissement humanitaire et du romantisme tapageur, Descartes fait ce qu’il doit faire selon sa position, et selon le monde où il vit. Sans s’oublier, sans se sacrifier, il fait entrer la mère et l’enfant tranquillement dans le plan de sa vie. J’aime cette manière sobre et grise, qui tient compte de tout, et n’outre rien.

Descartes, dit-on, confia plus tard à Chanut, en termes dévots, que Dieu lui avait fait la grâce de ne plus retomber dans de semblables engagements. Fut-ce scrupule de chrétien, ou sagesse de philosophe ? J’imagine que l’intérêt de sa méditation aida efficacement l’effort de sa piété.

Mais, pour remplacer l’amour charnel, Descartes ne connut-il pas l’amour platonique ? M. Gustave Cohen, en poète, le voudrait. Il soupçonne que Descartes et la princesse Élisabeth, dans leur commerce philosophique, glissèrent insensiblement vers quelque chose qui était ou qui contenait l’amour. Amour intellectuel, amitié amoureuse : je n’aime point ces mots. Ils colorent les deux figures d’une teinte romanesque et fade. Assurément il n’est pas physiquement impossible qu’un philosophe de quarante-cinq ans, qui vit chastement, se laisse émouvoir par une jeune fille de vingt-quatre ans, qui a le teint vif, les yeux bruns, les dents belles, même si elle est princesse, et même si elle a le nez rouge. Il n’est pas psychologiquement impossible qu’une jeune princesse, même fière, prenne un plaisir de femme à troubler un philosophe un peu défraichi, même pour n’en rien faire, et uniquement pour se persuader que ce vilain nez rouge n’anéantit pas tous ses charmes. Des possibilités, c’est