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S’ils tombent quand et nous en disette importune,
Ou si d’une desroute ils craignent l’infortune,
Ces panaches flottans, ces veaux d’or, ces mignons,
Pour estre plus au seür, nous nomment compagnons ;
Vous croiriez, à leur dire, et mesme les plus chiches,
Qu’au sortir du combat ils nous feront tous riches ;
Qu’en pères des soldats, partageans le butin,
Nos piques nous seront des aulnes à satin.
Mais, si tost qu’ils ont veu l’occasion passée,
La libéralité leur sort de la pensée.
Si nous sommes vainqueurs, l’honneur en est à tous ;
Mais le fruit du travail n’en revient point à nous :
Le gain remonte aux chefs, la risque estant finie,
Qui, sur nostre pillage, usans de tyrannie,
La poule, sans crier, des bons hostes plumans,
Ne nous laissent jouyr que des quatre elemens.
Si nous sommes battus, chaqu’un lesche sa playe,
Et tel doit au barbier deux fois plus que sa paye,
Qui, le soir de sa monstre, à peine aura de quoy
Nourrir en sa personne un serviteur du roy.
Jamais nostre bon temps n’arrive qu’en cachettes,
Car nostre bien public sont des coups de fourchettes ;
De fatigues sans fin nous portons le fardeau,
À peine ayans le saoul de mauvais pain et d’eau.
Cependant ces messieurs veulent que, pour leur plaire,
Nous ayons l’œil gaillard, l’armure toujours claire,
Desrouillans nostre fer et dehors et dedans,
Cependant que le jeusne enrouille tout nos dents.
Il est vrai que souvent nous faisons la desbauche
D’un demy tour à droite, un demy tour à gauche,
Dançant par entre-las des bransles différents,
Pour serrer et doubler nos files et nos rangs ;
Si bien qu’à regarder nos jambes sans nos trongnes,
Un passant nous prendroit pour un balet d’yvrongnes.
Aussi sommes-nous saouls jusqu’à nous en fascher,
J’entends saouls de marcher, affamez de mascher :
Car, quant à l’appétit, rarement il nous quitte,
Estant d’autant plus grand que la solde est petite.
Enfin, lorsqu’un de nous en sa poste est campé,
S’il dort, c’est d’estre las, non d’avoir trop soupé…


Voilà la vie qu’on mène dans les régiments français au service des États. La voilà vue d’en bas, sans panache et sans