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un tempérament nerveux. C’était le meilleur homme de la terre. Il n’était pas fier du tout. Il faisait sa religion comme tous nous autres. Ah ! je vous assure qu’on l’aimait bien ! »

« C’est Mlle Bouchard qui a servi de modèle à M. Hémon pour son héroïne saguenayenne. Aucun doute n’est possible, c’est bien elle « notre Maria nationale. »

« On prétend, me dit-elle avec une modestie touchante, que c’est moi que M. Hémon a peinte sous les traits de Maria Chapdelaine. Cela ne doit pas être vrai : je suis si peu intéressante. »

En commençant le récit de son voyage au lac Saint-Jean, M. Mercier Gouin citait ce jugement d’un de ses compatriotes, l’abbé Groulx : « M. Hémon nous a révélé les merveilles que nous avions sous les yeux depuis trois siècles sans réussir à les voir… C’est à un Parisien que nous devons le plus canadien de tous nos romans ! » On ne saurait faire une plus belle louange, ni plus juste. Cette volonté d’écrire une œuvre nationale, d’exprimer toute l’âme du Canada français, Louis Hémon l’a eue dès le début, peut-être avant d’avoir posé le pied sur le sol canadien. Il ne l’a pas marquée tout de suite dans le livre ; l’action s’engage et se développe comme si nous ne devions prendre intérêt qu’aux amours d’une belle fille de la terre et d’un coureur des bois. Mais plus tard, à des signes, à des mots qui sont plus grands que la forêt et qui éveillent l’idée du pays même, l’intention se révèle. Elle éclate lorsque l’héroïne, ayant perdu celui qu’elle aimait, est tentée de suivre Lorenzo Surprenant, qui lui a parlé de la beauté des villes, des rues illuminées et des images des cinémas. Alors, tandis que Maria veille, des voix s’élèvent dans la nuit, pour conseiller la fille des ChapdeIaine, comme une enfant royale, comme une fille de France ayant une mission. La première voix rappelle, à celle qui n’y songe guère, « les cent douceurs méconnues du pays qu’elle voulait fuir. » La seconde voix lui montre, dans les villes des États-Unis, l’étranger, les habitudes et la langue d’un autre peuple, les lèvres qui ne chantent pas les chansons de la province de Québec. La troisième découvre à Maria le secret du Canada français, et c’est la plus belle à écouter.

«… Une troisième voix, plus grande que les autres, s’élève dans le silence : la voix du pays de Québec, qui était à moitié un chant de femme et à moitié un sermon de prêtre.