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amusement que d’autres se seraient permis, où plusieurs débutants se seraient même complu, je veux dire celui du parler canadien. Nos cousins de là-bas, — ceux de la campagne surtout, — parlent encore un français importé tout vivant, au XVIIe, au XVIIIe siècle. C’est comme un merle de chez nous, mis en cage, qui aurait fait nid dans l’Amérique du Nord, mais n’aurait plus reçu de leçons de ses premiers éducateurs. Il ne manque pas de gens pour appeler patois ce qui est notre langue même. L’erreur est plaisante ! Un peu d’accent ne fait pas un patois, et quant aux mots dont l’usage s’est perdu en France et conservé au Canada, je déclare que beaucoup sont savoureux, et qu’il est fâcheux qu’on ne nous les serve plus. C’étaient, pour la plupart, des expressions plus employées en province qu’à Paris ; elles avaient trait à la vie rurale ; et Paris, que la culture intéresse médiocrement, les a laissés tomber : on les retrouve de l’autre côté de la mer. Le français du Canada, si âprement qu’il soit défendu par « l’habitant, » a dû accepter aussi un certain nombre d’anglicismes. Un romancier doit tirer parti de cet élément pittoresque, et Louis Hémon n’y a pas manqué. Mais avec quelle mesure il l’a fait ! Il a noté que les paysans du Nord canadien, au lieu de dire « ici, » prononcent « icitte. » Que de fois j’ai entendu, dans ma jeunesse, mon vieil ami Pierre Bellangerie (on lui donnait le titre de sa ferme), vieillard aux cheveux longs qui bouclaient sur le col de la veste, me répondre : « Non, monsieur René, on ne sème pas de cette graine-là, par icitte ! » Quand un enfant, même tout grand, comme Maria, s’adresse à l’un de ses parents, le romancier lui fait dire : « Oui son père ; oui sa mère. » Emploi surprenant de la troisième personne, témoignage de respect sans doute. Je n’ai jamais surpris un fils ou une fille de laboureur à s’exprimer de la sorte, même dans les pays où la famille paysanne s’est maintenue dans sa noblesse ancienne et apparaît, si nettement, comme la souche de la lignée canadienne. Je n’ai pas trouvé cette tournure dans les livres où il est parlé avec quelque vérité, — ils sont rares, — de la France rurale d’avant la Révolution. D’autres sont d’indubitable source française, et ils sont magnifiques, celui-ci par exemple : ouvrez nos histoires, et voyez ce que signifie le mot « règne ; » il s’applique à la vie des rois et des empereurs, il marque leurs années depuis le jour du couronnement. Au Canada, et dans l’ancienne et tendre France,